Artima? Qu'est-ce que
c'est que ça, Artima? par
Jean-Pierre DIONNET
Jean-Pierre Dionnet est un collectionneur
fou, probablement extra-terrestre : il faut l'être en effet pour
posséder l'ensemble de la production Artima, plusieurs milliers
de fascicules. De plus, Dionnet connaît l'origine de chaque bande,
sa parution aux U.S.A., son auteur, etc. Nul mieux que lui pouvait
nous donner un bref aperçu de ces petites merveilles de couleurs
que furent ces magazines populaires, très vendus dans les années
1950-60. J.-P. Dionnet, scénariste et critique de S.F. et de bandes
dessinées, est actuellement directeur de la revue Métal Hurlant,
qui publie justement des... B.D. de S.F, un double plaisir. Quelques
couvertures "martiennes"
Peut-on imaginer un critique, un historien qui ne sache pratiquement
rien du domaine qu'il prétend traiter, par exemple un historiographe
du Septième art qui ramènerait tout au cinéma français des années
cinquante ou bien encore qui jurerait que le parlant a tué toute
invention?
C'est exactement ce qui se passe pour la bande dessinée erreurs,
approximations, omissions, ignorance crasse et nostalgie aveugle;
comme tous les domaines longtemps méprisés, soudain révélés, la
B.D. n'a pas, à quatre ou cinq exceptions près, trouvé ses historiens
et ses théoriciens... Par exemple - question à dix francs -
combien de fois avez-vous entendu parler des fascicules Artima ? Pour
quelques-uns d'entre vous, une poignée, ce mot aura suit; les souvenirs
affleurent : un kiosque à journaux autour de 1960 envahi chaque
mois par une quarantaine de fascicules aux couvertures toutes plus
belles, plus folles, les unes que les autres. On a trop dit qu'une
génération fut bercée par Tintin, une autre par Spirou, etc. En
vérité, je vous le dis, rien de plus faux : pour un lecteur de Tintin
il y avait dix lecteurs des petits fascicules Marijac, vingt fanatiques
des Artima : il fallait être fou pour acheter Spirou alors que,
pour le même prix, on avait trois ou quatre magazines à la carte;
western, pirates, guerre ou - nous y voilà - science-fiction : le
genre qui vous intéressait, du début à la fin, sans que vous soyez
obligé de sauter une page... - Ah ! oui, dites-vous... Vous voulez
parler de ces petits journaux mal dessinés et mal imprimés, empilages
de bandes étrangères mal traduites qui ont fait tant de mal au Neuvième
Art? - Eh oui, cher monsieur ! Vos partis pris vous ont joué
un sale tour, surtout si vous achetez aujourd'hui tout ce qui porte
l'étiquette " S.F. ", car vous avez manqué là les plus
belles, les plus originales, les plus drôles, les plus sophistiquées
parmi les bandes de science-fiction de ce temps-là...
Artima, donc... c'était une petite maison d'édition du
Nord de la France, plus exactement de Tourcoing, qui se lança après-guerre
dans la B.D. avec une série de. récits complets format à l'italienne
raisonnablement débiles : il vaut mieux oublier charitablement Wonderman
de Dupuich et -cheveux gominés, fusées boulonnées - Fulguros de
Brantonne, ailleurs mieux inspiré. Et puis, tout à coup, en 1952,
c'est l'idée de génie :Artima lâche progressivement sur le marché
une vingtaine de fascicules ni trop grands ni trop petits - 23 cm
par 17,5 - ni trop épais ni trop minces - 36 pages - exclusivement
consacrés à un genre; pour la moitié d'entre eux ce fut la sciencefiction.
Le succès fut immédiat et dura jusqu'en 1962. Ensuite, sans doute,
les ventes baissèrent, les éditeurs cherchèrent autre chose, ils
changèrent de format, de pagination, le titre... Les anciens magazines
disparurent, s'étiolèrent... Il ne restait pas grand chose des splendeurs
passées lorsqu'en 65 Artima fut racheté par Les Presses de la Cité
: devenue Aredit, la maison trouva son second souffle mais, comme
disait je ne sais plus qui, ceci est une autre histoire...
Je me suis longuement tâté (au figuré) : comment aborder cette
nomenclature : la ramener à quelques auteurs, à quelques thèmes,
à quelques courants, c'était donner le minimum d'informations critiques
et historiques brutes; laissons ça aux vautours qui digèrent, déguisent
et déglutissent leur article quand le gros du travail a été fait
ailleurs par d'autres... Voici donc, par ordre alphabétique et
tout et tout, les fascicules Artima de science-fiction:
35 numéros de novembre 1956 à septembre 1959. Ensuite Atom
Kid fusionne avec Cosmos. Aujourd'hui il reparaît. Tant pis. Dessin
raide et triste, scénario à l'avenant . "II me semble que
quelque chose a bougé derrière ce rocher ! " ... cette
série de l'Espagnol Bayo ne vaut pas tripette... Heureusement, il
y eut parfois en seconde partie une agréable bleuette anglo-saxonne
genre " la famille Duraton. dans l'espace ". "
La famille Rollinson " qui peut encore séduire quelques pervers
intellectuels... C'est le grand problème de l'ordre alphabétique
: on risque de commencer par le pire. Ici, c'est le cas. Alors un
peu de courage. Continuez votre lecture...
24 numéros grand format entre 1958 et 1960. La merveille.
Le contenu? Tout simplement la traduction d'un comic book américain
de DC (alias " National Periodical " - la firme de Superman)
: Strange Adventures. De brèves histoires bâties autour d'une chute,
apparemment très simples mais cependant jamais simplettes. Toujours
la même trame : la Terre en péril, menacée par un ganymédien gazeux
(et fou par surcroît) qui collectionne les planètes dans un globe
de verre au-dessus de sa cheminée ou bien par un jupitérien débile
qui pêche notre belle planète à la ligne ou la coupe en tranches
ou l'attire avec un aimant géant. Mais, attention! Il y a chaque
fois un brave petit gars bien-de-chez-nous qui trouve le truc et
sauve la baraque! Derrière ce thème que de trésors d'invention,
d'idées superbes, à peine esquissées. Rien d'étonnant lorsque l'on
connaît le nom des scénaristes : Alfred Bester, Otto Binder, Gardner
Fox, Edmond Hamilton! Quant aux dessinateurs : Joe Kubert, Gil Kane,
Jack Kirby (le futur auteur des Fantastic Four l), Russ Heath, Rubimor
et Carmine Infantino dont nous reparlerons... Ce sont les meilleurs
cartoonists américains de la période... Les couvertures merveilleusement
archétypales, l'efficacité visuelle du récit, de la mise en place,
du découpage, du dessin, l'aisance dans la description de figures
imaginaires : tout cela n'avait pas d'équivalent chez nous. Il y
avait là le même écart qu'entre la science-fiction écrite américaine
et la nôtre. Depuis nous nous sommes rattrapés? Peut-être parce
qu'une génération s'est nourrie d'Aventures fiction.
Batman (Rien à voir avec l'homme chauve-souris bien connu...) 8 numéros
seulement, en 1960. II s'agissait une fois encore de la traduction
d'un comic-book de chez D.C. : honnêtes histoires d'horreur qui
ne cherchaient pas vraiment à faire peur, dues à d'honnêtes artisans
qui n'y croyaient pas plus que ça : Nick Cardy, Lee Elias, etc.
Le public ne s'y trompa pas.
Premier magazine de la firme à paraître en petit format, débute
en 1956, devient bizarrement Big Boss en 1960. Disparaît un an avant
le rachat par les Presses. Renaît depuis peu exactement semblable... Même
chose qu'Aventures fiction, de très bonnes bandes de chez D.C. :
western, superhéros, fantastique et surtout ScienceFiction... Quatre
séries régulières, au moins, valent le détour Roy Raymond détective
de Rubimor, -qui découvrait inlassablement chaque mois un charlatan
ou une escroquerie au surnaturel! Rex, le chien merveilleux, si
intelligent! John Jones, le chasseur d'hommes de Mars, venu sur
Terre chasser de pauvres malfaiteurs... Et " last but
not least ", Le prince Viking de Kubert : " D'un rivage
mystérieux vint le vagabond aux cheveux d'or connu sous le nom de
Prince Viking... II risqua toutes les aventures pour déchiffrer
le voile funeste qui recouvrait son passé, balayant les mers de
son épée flamboyante selon les termes d'une antique saga des pays
nordiques... " Sorcières, dragons, sirènes et vaisseaux
fantômes, la mise en page dynamique et la vigueur du dessin de Kubert
: un des rares chefs-d'oeuvre de la bande dessinée d'Heroic-Fantasy. Arrêtons-nous
là mais il y aurait tant d'autres choses (Joe Maneely, les bandes
gothiques de Kirby) à dénombrer dans ce magazine : à chaque fois
une quinzaine d'histoires sur 100 pages et bien peu de déchet!
62 numéros de 1956 à 1962. Les aventures de Ray Comet. Du
niveau d'Atom Kid. C'est dire...
Petit format mensuel qui parut de 1961 à 1963. Au début n'importe
quoi : Ben Hur, un reporter... Puis, tirant le titre et la couverture
à lui, le plus élégant super-héros des années 60 : le Flash, bien
sûr, Barry Allen, l'homme-le-plus-vite-du-monde (qui fatigue un
peu, il faut le reconnaître, pour dépasser la vitesse de la lumière)
et ses ennemis gravures-de-mode (Ah! la chemise imprimée du Captaine
Boomerang!)... Malicieuses, inventives, foisonnantes, les aventures
de Flash doivent énormément à leur dessinateur, Carmine Infantino
dont - deuxième avertissement - nous reparlerons...
110 numéros grand format de 1953 à 1962, deux ou trois années
encore en petit format... Soit 135 épisodes (une trentaine de pages
chaque mois!) dus au même dessinateur (l'auteur également de Tempest
et d'un très beau sous-Tarzan, Ardan, qui parurent à la même époque!)
: Giordan. Giordan dont on ne parle jamais et qui nous donna
là une grande série sans équivalences dans la bande dessinée française
(à part, évidemment, les très admirables et très admirés Pionniers
de l'Espérance) : Les conquérants de l'espace, titre premier de
la bande, utilisa successivement tous les thèmes du Space Opera,
au commencement avec un soin extrême, puis de manière de plus en
plus lâchée, mais sans que la série devienne jamais indifférente.
Quant aux premiers épisodes... Wow! Le Dr Spencer, Spade le pilote
et son mécano Texas seront les premiers hommes sur la Lune, ils
partiront à la poursuite d'une soucoupe découvrir Terra, Vénus,
cent autres mondes : sur Jouvencia ils apprivoiseront des pieuvres
cosmiques " très intelligentes ", ils sauveront la princesse
de Karabastro, ils éviteront une guerre climatique sur Zinalpa...
Les histoires ne décollaient jamais, le dessin de Giordan parfois
superbement décoratif (ah ! les premières couvertures! Les antilopes
bleues et les soldats morts pris dans la glace!) fut souvent raide
et lourd, mais il y avait, l'un dans l'autre, une vigueur, une crédibilité,
une cohérence, tant d'autres choses qui manquent à certains dessinateurs
trop narcissiques. Giordan, dans ses défauts comme dans ses qualités,
nous donna là une parfaite bande pour adolescents. (pour
tout savoir sur ce magazine et Raoul Giordan, dessinateur de la
série: http://meteor.proftnj.com/
)
20 numéros en 1959-1960. Des premières parties extrêmement
ternes - histoires interminables de dinosaures et de gangsters en
scaphandres dues à la plume jamais inspirée de l'Espagnol Boixcar,
mais aussi de magnifiques récits complets d'un autre Espagnol, Ruméu.
Un dessin fin, sévère d'aspect, des ambiances sombres, étouffantes
et des histoires curieusement adultes : - à bord d'un ponton,
les hommes se mettent soudain à vieillir, à cause d'un météore tombé
dans la mer... - un pauvre hère, aux Indes, il y a 10 000 ans,
tue un extraterrestre et s'empare de ses armes, il s'appelle Brahma...
etc... Chaque fois l'histoire s'achevait sur un message moral
: " Nous ne pouvons nous dire sauvés tant qu'il existera
des hommes qui tireront leur joie de la comparaison de leur rang
avec celui des autres. Celui qui est possédé de l'esprit de domination
est au fond persuadé de sa propre infériorité. " Lourdingue?
Bien sûr! Mais très efficace quand vous avez douze ans, que vous
venez de lire, haletant, une superbe histoire d'invasion extra terrestre,
vaincue par un petit homme gris...
27 numéros grand format de 1958 à 1960 puis une trentaine en
petit format, tandis qu'il absorbe successivement Batman et Aventures
Fiction. Aussi beau que ce dernier : des bandes extraites de Strange
Adventures, Mystery in space, les meilleurs comic-books de la D.C....
D'innombrables récits de découvertes stupéfiantes et de périls vaincus,
plus quatre séries que le " fan " de S.F. doit absolument
connaître.
- Space Cabby : les mésaventures
tragi-comiques d'un pauvre taxi de l'espace, qui se demande à la
fin de chaque épisode - après avoir sauvé deux galaxies et s'être
emparé de " l'homme le plus dangereux du système " - s'il
ne ferait pas mieux de changer de métier... Dessin efficace de Gil
Kane (l'auteur des meilleures couvertures de la D.C. en ce temps-là).
- Les Chevaliers Atomiques,
jolie bande un peu mièvre dans une atmosphère paradisiaque en complète
contradiction avec le sujet abordé : la survie d'un groupe d'amis,
justiciers bénévoles, dans l'Amérique détruite d'après-demain...
Dessin de Murphy Anderson, petit-maître attachant - qui n'a jamais
dessiné Superman comme le dit J.P. Andrevon dans Charlie Mensuel
(N° 74 - mars 1975) - il a seulement encré Curt Swann quelques mois
voilà ce que c'est que de faire des articles péremptoires en allant
acheter les deux ou trois magazines récemment parus au kiosque du
coin!
- Adam Strange, chaque fois
téléporté sur un autre monde, Rann, où il doit régler leur compte
à quelques cristaux vivants et, comme il va étreindre sa fiancée,
Alanna, enfin... Il se retrouve sur Terre!... La frustration élevée
à la hauteur d'un art!!! Mais, toutes plaisanteries à part, voici
un chef-d'oeuvre : paysages sereins, villes futures parfaites -
les plus belles de la bande dessinée - dans la tradition de l'architecte
Frank Lloyd Wright, mise en scène aérienne, élégance incroyable
du trait... C'est bien sûr d'Infantino qu'il s'agit. Un Infantino
parfois amoindri par les encreurs anonymes qu'on lui imposait mais
qui demeure, malgré le temps qui passe, l'un des deux ou trois plus
grands talents surgis depuis la guerre.
- Le Musée de l'Espace...
Infantino encore, et voilà justement son chef-d'oeuvre absolu :
chaque jour Howard Parker emmène son fils au Musée de l'Espace,
autour d'un trophée, d'un objet rouillé, d'une pierre, il lui raconte
l'exploit d'un homme qui a sauvé la Terre. Une fois même il lui
apprendra que la guerre la plus terrible fut évitée par un pilote
et par un capitaine d'infanterie, un homme et une femme : son père
et sa mère, évidemment... que lui-même, quand il avait six ans...
Pour une fois, Infantino dessine seul : on comprend que son trait
rapide, audacieux, jaillissant, ait fait peur aux éditeurs d'alors
habitués à des plats plus médiocres : batailles indistinctes ou
armes fabuleuses. " Le musée de l'espace " est le chef-d'oeuvre
absolu de la bande dessinée de science-fiction des années 50, pas
moins.
1957-1960. 34 numéros exac-te-ment... Au début, simple réédition des premiers Météor (un bon moyen
pour le collectionneur de compléter sa série : les premiers fascicules
de Meteor étant excessivement rares)... Du numéro 9 au numéro 33
une excellente bande de science-fiction hollandaise dans la tradition
de Flash Gordon : Pilote Tempête de Henk Springer : dessins et scenarii
irréprochables quoiqu'un peu vieillots. En seconde partie, quelques
très belles histoires de Ruméu (l'explorateur venu raconter ses
voyages au grand conseil galactique : " Je vous parle d'un
monde absurde, celui où les peuples se groupent en masses hostiles,
par l'effet de méfiances réciproques imaginaires... Ce monde s'appelle
la TERRE! ")... A noter deux ou trois récits sans suite, sans
doute français, mal dessinés et pourtant follement poétiques : ce
jeune homme qui retrouve sa fiancée disparue dans le labyrinthe
rocheux de l'homme de cristal (en vérité Amorus, " le savant
recherché pour avoir mutilé des hommes lors d'expériences interdites
") mais elle n'est plus qu'une forme impalpable, translucide,
qui voyage avec la lumière; il ne faudra pas moins qu'un jeu de
miroirs à l'effigie du soleil pour la délivrer...
Voilà, c'est fini... II y a d'autres choses encore, ne serait-ce
que les histoires de science-fiction publiées dans des magazines
de guerre ou de western... Je vous les laisse découvrir... Mais
hâtez-vous : bientôt tout le monde va s'apercevoir que les Artima
constituent la plus belle série de science-fiction en bandes dessinées
qui fut jamais publiée dans notre beau pays...
Article publié dans
Univers n°1 (1976) Ed.J'ai Lu
 Artima-Arédit:
Couvertures
et contenus martiens
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