UN TERRIEN
SUR MARS ( derniére partie )
LE MARTIEN AU REPOS.
Le sommeil leur étant inconnu, les Martiens n'en ont pas
moins de courtes périodes de repos dans la journée.
Il existe donc des chambres libérées de la gravité,
où un dégravitateur permet la relaxation complète.
Des ondes de dessins qui se succèdent rapidement sur la paroi
y engagent les Martiens à garder l'immobilité. Le
corps doit se relaxer totalement, dans le sens intégral du
terme. Lorsque le Martien y pénètre, il se penche
en arrière et place sa tête sur un coussin surmontant
un piller vertical, puis il attache une sorte de courroie autour
de son front, c'est-à-dire entre son nez et ses antennes,
et il presse un bouton relié à une pendule, elle-même
placée sur le pilier. Son corps est immédiatement
privé de poids, grâce à l'action du dégravitateur
; dans cet état, le corps remonterait au plafond si le Martien
n'avait pas fixé sa tête au coussin. Il flotte donc
horizontalement, tout en demeurant dans la même position fixe.
Rien n'est plus délicieux que cette totale privation de poids,
le corps étant alors libéré de la traction
exercée par la gravité. Un quart d'heure suffit
à donner plus de véritable repos qu'une nuit entière
passée au lit. Nous nous en étions déjà
rendu compte dans notre appareil volant au cours de notre trajet
Terre-Mars. Nous comprenions donc pourquoi les Martiens se retirent
dans leurs chambres de repos pendant une quinzaine de minutes, une
ou deux fois dans leur journée de 24 heures. Les Terrestres
ne devraient pas trop s'étonner que les Martiens ne dorment
jamais : le coeur humain, lui non plus, ne dort jamais pendant toute
une vie. Il est vrai qu'il ne bat pas d'une façon constante
; il doit également se reposer, il ne fonctionne normalement
que pendant douze heures ; mais, lorsque l'homme court ou se livre
à un effort physique, son coeur s'accélère
et se fatigue de plus en plus. MARS
N'EST PAS FAIT POUR LES HUMAINS.
Le présent récit est rédigé dans notre
appartement souterrain, " fluide " et composé d'une
pièce " unique ". L'air y est pressurisé,
faute de quoi nous aurions été obligés d'y
porter constamment nos casques en plastex. Il y règne donc
la même pression atmosphérique que sur la Terre, c'est-à-dire
14 livres 7 par pouce carré. Nos hôtes nous fournissent
également l'oxygène nécessaire pour nos réservoirs,
chaque fois que nous allons au dehors. Au cours de leur longue
évolution, les Martiens se sont accoutumés à
la faible densité de leur atmosphère, aussi faible
que celle de notre stratosphère. Toutefois, les humains ne
peuvent pas vivre dans un milieu aussi pauvre en oxygène.
Sans nos casques, nous haleterions aussitôt et nous perdrions
connaissance en quelques minutes. Réciproquement, lorsque
notre mentor nous fait une visite dans notre appartement, il doit
lui aussi, porter un casque ; sinon, il ne tarderait pas à
étouffer à cause de la haute pression atmosphérique
où nous y vivons. Les Martiens n'ayant pas une bouche pareille
à la nôtre, ni de dents, mais une sorte de bec, ils
ne parlent pas comme les humains ; ils émettent des sons
sifflés évoquant ceux de certains oiseaux. Ils disposent
pourtant de tout un éventail musical. Leurs organes télépathiques
ne les empêchent pas de causer ensemble normalement à
l'aide de sons. Quand c'est impossible (souvenons-nous que les
sons se transmettent mal dans l'atmosphère raréfiée),
ils communiquent par ondes de pensée. Dans les grandes salles
de spectacles ou de cenférences, même quand les sons
musicaux sont amplifiés par les haut-parleurs, les comédiens
ou les orateurs emploient également la télépathie,
afin de donner plus d'importance ou même d'emphase aux paroles
qu'ils prononcent, ce qui leur permet aussi d'exprimer leur personnalité
de façon bien plus vigoureuse et plus nette. ALIMENTS SYNTHÉTIQUES. Depuis plus d'un milliard d'années,
les Martiens produisent leur nourriture par des procédés
synthétiques. Bien qu'ayant été carnivores
dans leur préhistoire, ils ne le sont plus sous aucune forme.
Le peu de fruits, noix, etc. fourni par l'agriculture ne constitue
qu'un luxe et représente moins de 10 % de l'alimentation
totale. Leurs diététiciens peuvent produire d'innombrables
combinaisons comestibles, bien plus par conséquent que nous
ne saurions en imaginer sur la Terre. Rien qu'en mélangeant
le contenu atomique des matières premières, on peut
fabriquer n'importe quel type de nourriture et lui donner n'importe
quel goût. Presque tous ces types sont stables à la
température des maisons et s'y soustraient à la décomposition
durant des siècles s'ils sont conservés en vase hermétiquement
clos, car tous les aliments martiens sont stéri:isés,
en sorte que nul de leurs éléments ne peut les gâter.
C'est ainsi que nous mangeons tous les jours des c steaks s bien
meilleurs que les plus fins tournedos terrestre, des e pommes de
terre s inégalables, des desserts que nous trouvons chaque
fois délicieux, du lait épais et crémeux. Bref,
tout ce que nous consommons est constitué par des produits
exclusivement synthétiques. FABRIQUES
DE PROTÉINE. Nous avons
visité une de ces immenses usines, mais nous n'avons, bien
entendu, rien pu comprendre à son fonctionnement. Il y avait
là des centaines de tonneaux, de réservoirs, de labyrinthes
de grands tubes bizarres, de fours, de mélangeurs, de convertisseurs
atomiques, de mixers cosmiques et, par milliers et milliers, des
instruments inconnus, des jauges, des manipulateurs. A une des extrémités
de l'établissement arrivaient un courant de sable rougeâtre
et d'épais liquide brun. A l'autre bout sortait une suite
ininterrompue d'aliments empaquetés et tout prêts à
être distribués par des convoyeurs souterrains jusqu'aux
entrepôts. CONTRÔLE
A DISTANCE. Il n'y avait pourtant
pas un seul ouvrier dans toute cette immense usine fabriquant plus
de six mille tonnes de protéines par jour. Nous nous rendîmes
ensuite à la salle des commandes, d'où l'établissement
tout entier est dirigé et actionné à distance.
Elle était située au-dessus de l'usine elle-même
et elle n'abritait que quinze techniciens. Nous vîmes là
une véritable forêt d'instruments, de manettes et de
leviers disposés sur de vastes tableaux. Assis dans de confortables
fauteuils pendant du plafond, les techniciens surveillaient leurs
appareils. Chacun tenait dans une main une bande métallique
enregistreuse qu'il poinçonnait de l'autre et qui constituaient
l'équivalent de son livre de bord. Nous notâmes en
passant de nombreux écrans, analogues à ceux des récepteurs
de télévision, qui les mettaient à même
de surveiller toutes les phases du travail mécanique dans
l'usine de fabrication, laquelle - rappelons-le - ne contenait pas
un seul ouvrier. DÉGUSTATION
MAGIQUE. Un détail nous
avait échappé pendant que nous assistions à
la sortie des aliments protéinés. Il était
plein d'intérêt, mais nous ne nous en aperçûmes
que lorsque nous prîmes au passage un de ces paquets, dont
le volume était à peu près celui d'un carton
contenant un kilo de sucre. Etonnamment lourd, il devait peser au
moins quinze livres martiennes, car toutes ces nourritures sont
très fortement comprimées ; non seulement on économise
ainsi beaucoup de place, mais encore les aliments supportent bien
mieux le transport. Nous demandâmes qu'on ouvrit devant
nous une boite de " steak ". Elle renfermait une grande
quantité de rondelles brunes. de la dimension approximative
d'un quart de dollar ou d'une pièce d'un franc. Notre guide
en prit une, la plaça sur une assiette apparemment en matière
plastique et sortit, d'une poche pratiquée dans la sorte
de jupe à écailles qui descendait de sa ceinture,
un objet ressemblant à un crayon et portant plusieurs petits
boutons sur un de ses côtés. Du bout de son s crayon
s, qu'on pourrait aussi appeler sa baguette, il toucha une des rondelles
brunes ; celle-ci, à notre surprise, se gonfla et s'étendit
rapidement dans toutes les directions, finissant par mesurer environ
quatre pouces de diamètre et un pouce d'épaisseur.
En outre, et en même temps, ce mets appétissant commença
de cuire, de " fristouiller ", si l'on peut dire, devant
nos yeux. Si nous n'avions pas alors été coiffés
de nos casques, nous aurions perçu une effluve agréablement
chaude et à goût de viande. En dix secondes, le a steak
a était prêt à être mangé.
La baguette était en somme un ustensile redistribuant les
atomes dans la rondelle brune comprimée, tout en les cuisant.
On confectionne un grand verre de lait chaud de la même façon,
simplement en prenant une tablette de 6 millimètres sur 3,
qu'on jette dans un récipient, puis qu'on touche de la baguette
atomique. C'est tout, l'eau ayant été, préalablement
et atomiquement enfermée dans la tablette. Tous les aliments
sont comprimés avec leurs sauces, assaisonnements, etc.,dont
il existe la plus grande variété imaginable. D'ailleurs,
lorsque le Martien va au restaurant, il se contente de commander
la matière brute des plats qu'il désire ; il les dépose
alors sur des assiettes et les fait lui-même gonfler et cuire.
Personne ne les a touchés avant lui. La baguette atomique
fournit à volonté tous les degrés de chaleur.
Pour les plats qui n'ont pas besoin d'être cuits, on n'utilise
que le bouton qui provoque le gonflage. L'EAU,
LIQUIDE PRÉCIEUX. L'eau,
qui est ce qu'il y a de plus précieux sur Mars, est rationnée.
Chaque personne a droit à 210 didisis par mois (60 de nos
jours terrestres). Le compteur se ferme dès que la quantité
allouée à l'individu ou à la famille est dépassée.
Toute l'eau employée est reconstituée atomo-chimiquement
dans la maison même. RADIOLIVRES. Les Martiens reçoivent les nouvelles
par voie de télépathie radio-guir!ée à
partir des centres d'Etat spécialisés. Il y a des
millions d'années qu'on n'y imprime plus de livres ni de
périodiques, faute de place pour les myriades de trillions
d'ouvrages publiés. Actuellement, de simples téléviseurs-récepteurs
gravent des micro-pages, illustrées ou non, sur de minces
rubans métalliques, indestructibles et transparents, larges
de 6 millimètres. Chaque micro-page mesure 1 millimètre
1 /2 de hauteur sur 0 millimètre 8 de largeur. Un livre de
mille pages est ainsi réduit à un ruban long
de 79 centimètres environ. Pour lire, on presse un bouton.
Le ruban se met alors en position de vision et l'on n'a plus qu'à
lire sur l'écran, à la vitesse désirée.
Tous ces c livres s sont diffusés gratuitement par l'Etat
et l'on peut en faire entrer des milliers dans une seule bobine
qui tient dans le creux de la main. JEU
D'ÉCHECS ATOMIQUE. Le
passe-temps de l'élite est un jeu qu'on ne saurait mieux
définir qu'en l'appelant échecs atomiques. C'est un
tour de force, le plus intellectuel qu'on puisse imaginer. On y
utilise 126 pièces, chacune représentant un des éléments
atomiques martiens. Cependant, il ne s'agit pas de pièces
matérielles, réelles ; tout se passe mentalement,
comme dans les échecs joués les yeux bandés.
Les partenaires ont à leur disposition 126 atomes différents,
qu'ils doivent faire entrer en combinaisons chimiquement correctes.
Celui qui commet une faute est pénalisé d'un ou plusieurs
atomes au profit de l'adversaire. Comme il existe des milliards
de combinaisons possibles, seuls les esprits de premier ordre sont
en mesure de jouer rapidement, c'est-à-dire en ne disposant
que de dix secondes pour décider de chaque mouvement.
LA PLANÈTE PASSE AVANT TOUT
LE RESTE. Il est impossible
de comparer avec la nôtre la civilisation martienne; elle
a pour base les hauteurs de l'intelligence et son évolution
dure depuis plus de deux milliards d'années. Cette longue
évolution et la reproduction sélective volontaire
ont profondément affecté dans leur totalité
la pensée, les coutumes et les moeurs, en sorte que les Martiens
nous considèrent comme des sauvages de troisième ordre.
Mars n'a pas d'armées : de quoi lui serviraient-elles ? Il
n'y a pas de criminels : donc pas de prison. La police y est inconnue
depuis plus d'un milliard d'années. On n'entend jamais parler
de malaise parmi la main-d'ceuvre. Les tribunaux y sont rares et,
divorces mis à part, ne jugent que peu de procès.
Le mérite en revient à l'excellent système
d'éducation, répandu depuis un milliard d'années
sur toute l'étendue de la planète, qui enseigne que,
quoi que fasse l'individu, ce doit être d'abord dans l'intérêt
de la planète, ensuite dans celui de la race. La forme
de gouvernement que nous connaissons sur la Terre n'est à
aucun égard celle de Mars. L'organisation centrale n'est
qu'un grand institut de statistique, dont l'objet consiste à
recueillir des faits. Il n'existe pas non plus de lois, dans
le sens que nous donnons à ce mot, mais seulement des instructions
auxquelles chacun obéit tout naturellement, de même
que la plupart des gens se conforment aux signaux lumineux de la
circulation, sans qu'il soit besoin de gardien de la paix pour les
surveiller. ABSENCE DES ESPÈCES
MONNAYÉES. Bien entendu,
il n'existe pas non plus de monnaie en espèces, pas plus
que de ces maux engendrés par son existence, tels que taux
d'intérêt ou impôts. Par voie de conséquence,
il n'y a pas non plus d'affaires, telles que nous les entendons,
car personne sur Mars ne peut faire de profit. Depuis plus d'un
milliard d'années, les Martiens ont été formés
de façon à travailler pour le bien de la race et les
uns pour les autres. Tout ce qui est produit appartient à
la race. Chaque Martien s'acquitte de la tâche qui lui est
assignée, et cela chaque jour, car il n'y a ni dimanches
ni jours fériés; mais il ne travaille activement que
durant 20 mois martiens. Il cesse alors pendant quatre mois, pour
prendre un congé, s'il le désire (l'année martienne
correspond à 24 mois terrestre). Peu d'entre eux, au reste,
profitent de cette latitude de quatre mois ; la moyenne prise est
de deux mois et demi. L'ÉCONOMIE
MARTIENNE. Chaque Martien ayant
dépassé trente ans possède un foyer confortable
selon le nombre de personnes composant sa famille. Son logement
ne lui coùte rien, bien entendu; en tant que travailleur,
il y a droit. Il en est de même pour TOUS ses besoins.
Il n'est tenu que de montrer la carte métallique où
est inscrit son nom, ou plutôt son numéro de série
; il peut alors se procurer tout ce qu'il veut et où il veut.
Un enregistreur officiel, relié au Bureau Central de Statistique,
porte ce qu'on pourrait appeler la vente au compte de son numéro
de série; tout objet, que ce soit une tasse de lait ou un
meuble, est affecté d'un numéro. La vente finie, ce
numéro est inscrit après le numéro de série
de l'intéressé, afin de compléter la transaction.
A la fin de l'année, on lui envoie
son compte total mis à jour. Toute acquisition est évaluée
selon une échelle de points ; par exemple, un repas au restaurant
peut monter à 461 points et une cosmocaméra spéciale
à 16 000 points, ou davantage. D'autre part, le travail de
l'intéressé lui est crédité, également
en points et selon une échelle universelle. Jamais un Martien
ne dépense au-delà de ce système de points
; il reste même généralement au-dessous.

Ici s'achève la relation de voyage de Grego BANSHUCK.
Nous ne manquerons pas de tenir nos lecteurs au courant de tous
les renseignements nouveaux que nous pourrions obtenir sur cette
extraordinaire prouesse technique. Avec l'aimable autorisation
de Hugo GERNSBACK.
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