1 - A pied, à cheval et en
bulle de savon...
Le premier véhicule emprunté
par un personnage de bande dessinée pour se rendre dans l'espace
fut un cheval et... le premier astronaute de l'histoire du cinéma,
une vache. Le cheval s'appelait Somnus et il fut offert
par le roi Morphée au Little Nemo de Winsor
McCay lors de sa toute première aventure, en octobre 1905,
afin qu'il gagnât le pays de Slumberland. Grâce à
lui, Little Nemo parcourut "plusieurs
milliers de kilomètres " dans l'espace. Le messager
du roi Morphée lui avait dit de ne pas presser sa monture.
Little Nemo, engagé dans une course à
la lune avec d'autres créatures, ne tint pas compte de ce
conseil et fut désarçonné. Il se retrouva dans
son lit qui, quelques mois plus tard, en décembre de la même
année pour être précis, devait le transporter
jusqu'à la lune... Quant à la vache, son
histoire mérite d'être contée. En 1898, Georges
Méliès réalise une "féérie
à transformations" intitulée La lune
à un mètre. C'est une bande de trois minutes
montrant un vieil astronome (interprèté par Méliès
lui-même) rêvant qu'il reçoit la visite de la
lune dans son laboratoire où elle se transforme en jeune
femme. En juin 1899, le film est distribué aux Etats Unis
par un producteur peu scrupuleux du nom de Sigmund Lubin qui le
présente comme s'il en était l'auteur. En traversant
l'Atlantique, La lune à un mètre
est devenu The astronomer's dream and the trip to the moon.
En 1900, Lubin modifie ce titre pour en faire The
marvellous trip to the moon. Et, dans la foulée,
il ajoute trois minutes de provenance incertaine au film de Méliès.
Deux ans plus tard, si l'on en croit le catalogue de Lubin, The
marvellous trip to the moon s'est encore rallongé
et dure désormais 20 minutes! Il a retrouvé son premier
titre américain (The astronomer's dream and the trip
to the moon) et Lubin en donne une description détaillée
dans son catalogue publié au mois de janvier. Les trois premières
minutes sont toujours de Méliès mais, après
la rencontre de l'astronome et de la jeune femme par quoi se conclut
La lune à un mètre, les choses se
gâtent. L'astronome se remet à rêver et voit
défiler des images tirées de comptines enfantines.
Or, l'une d'elles dépeint l'histoire d'une vache bondissant
sur la lune. Aussi un bovidé est-il convié à
fouler le sol de notre satellite avant même que Méliès,
ignorant ce détail, n'y envoie ses astronomes... Qui a filmé
les images de la vache de l'espace ? Lubin ? Peu probable.
C'était un pirate, pas un metteur en scène. Le mystère
reste donc entier. Il ne sera d'ailleurs sans doute jamais résolu
puisque, dans son catalogue, Lubin se garde bien de préciser
où il a trouvé sa vache et que le film a disparu.
L'auteur du premier voyage dans l'espace de l'histoire du cinéma
est donc un inconnu... Ces deux pionniers, le cheval de
Little Nemo et la vache de Lubin, disent bien ce
que représentait le thème du voyage dans l'espace
au début du siècle : rien. On n'imaginait pas,
à l'époque, qu'un tel voyage fût possible. Aussi
le traitait-on par la dérision. C'était un prétexte
à "fééries", un outil commode pour
projeter des personnages burlesques dans des situations extravagantes,
provoquer le rêve, le rire ou l'illusion. Du reste,
si l'on excepte Little Nemo, dont le héros
effectuera un voyage en ballon vers la planète Mars en 1910,
la bande dessinée s'intéresse peu à ce thème
au cours de ses premières années d'existence. A cette
époque, elle ne se soucie pas d'aventure. Les "histoires
en images", en Europe comme aux Etats Unis, se veulent surtout
comiques et, s'adressant à toute la famille, s'attachent
plus à caricaturer le réel qu'à le transcender.
Au cinéma, la situation est différente. Quelques
pionniers, Georges Méliès en tête, ont vite
compris le parti qu'ils pouvaient tirer de cette formidable invention.
Restituer le réel sur un écran ne les intéresse
pas. Au contraire, ce qu'ils veulent, c'est créer l'illusion,
montrer à l' il humain ce que la nature et la vie quotidienne
lui refusent. Les voyages dans l'espace, rêvés par
Jules Verne et quelques autres au siècle précédent,
répondent parfaitement à cette ambition... et l'on
pourrait dire qu'ils y répondent d'autant mieux qu'on les
croit impossibles. En 1901, Ferdinand Zecca survole les
toits de Paris sur un engin tenant de la bicyclette et du dirigeable
dans un film intitulé A la conquête de l'air
pour les besoins duquel il invente le trucage de l'image composite
(ou superposition). L'illusion est si parfaite que nombre de spectateurs
croient que l'engin existe réellement et écrivent
à Zecca pour lui demander où ils peuvent se le procurer!
Mais le vrai premier film ayant pour sujet un voyage dans l'espace,
c'est bien sûr Le voyage dans la lune de
Georges Méliès, une bande de seize minutes réalisée
en 1902. "A la projection, le film défilait
sans aucun sous-titre, " écrivent Maurice Bessy
et Lo Duca dans leur livre Georges Méliès,
mage (Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1961), "et
il était parfaitement compris dans tous les pays. Ce fut
réellement, par excellence, le film international."
Le voyage dans la lune est intéressant
à plus d'un titre et d'abord par ce qu'il montre... et ce
qu'il ne montre pas. Ce qu'il montre, c'est le départ et
l'arrivée. Ce qu'il ne montre pas, c'est le voyage proprement
dit. Dans sa préface aux Histoires de Cosmonautes
(Le Livre de Poche n 3765), Démètre Ioakimidis
remarque : "Le Voyageur fascine parce qu'il est
en même temps Explorateur. Dans L'Odyssée
déjà, c'est surtout ce qui se passe aux escales qui
est important. Pendant longtemps, il en a été ainsi
dans le domaine de la science-fiction. Pendant longtemps, ce terme
même de science-fiction a évoqué presque exclusivement
des récits de voyages interplanétaires, dans l'imagination
du lecteur. Dans un grand nombre de ces récits, le vol dans
le cosmos ne représente qu'un simple moyen : le moyen
d'amener les personnages à pied d' uvre, c'est-à-dire
sur l'astre où vont se dérouler leurs exploits."
Méliès ne déroge pas à cette règle.
Ses astronomes voyagent à l'intérieur d'un obus parce
que Jules Verne en a décidé ainsi en 1865 mais ils
auraient très pu employer un autre moyen de locomotion sans
que cela modfiât en quoi que ce soit le sens et la portée
du film. C'est ce qui se passe sur la lune qui
est important, pas le vol qui y conduit et dont on ne sait (presque)
rien. Mais Le voyage dans la lune est
aussi intéressant pour une autre raison. Film à vocation
internationale, son succès est tel au moment de sa sortie
qu'il fait du voyage dans l'espace ou vers d'autres mondes l'une
des principales sources d'inspiration des cinéastes du début
du siècle. En 1904, Méliès lui-même
lance l'ingénieur Mabouloff et ses collègues de la
Société de Géographie Incohérente à
l'assaut du soleil où ils se posent après un voyage
en train! (Le voyage à travers l'impossible).
En 1906, un autre de ses personnages rêve qu'il s'envole dans
l'espace à l'aide d'un ballon et entre en collision avec
une comète. (Le dirigeable fantastique).
Et déjà, les Américains lui emboîtent
le pas. Dans The '?' motorist de Walter R. Booth,
un chauffard poursuivi par un policier fonce jusqu'au soleil, puis
jusqu'à Saturne avant d'effectuer un atterrissage en catastrophe
sur le toit de la maison d'un magistrat. La même année,
Percy Stow, dans Rescued in mid-air, imagine un
curieux engin tenant à la fois du ballon, de la bicyclette
et du bateau à voile. La palme en matière de bizarrerie
revient cependant à un Français, Gaston Velle, l'un
des cinéastes fétiches de Pathé, qui, dans
Voyage autour d'une étoile, transporte un
vieux savant jusqu'à la planète Jupiter à l'intérieur
d'une bulle de savon... Impossible, dans un court essai
comme celui-ci, de passer en revue tous les films de cette époque
s'inspirant peu ou prou du Voyage dans la lune
et inventant mille moyens tous plus farfelus les uns que les autres
pour projeter leurs héros dans l'espace. Citons, sans que
cette liste prétende à la moindre exhaustivité,
The airship de J. Stuart Blackton (U.S.A., 1908 :
une course poursuite jusqu'à la lune), Voyage à
la planète Jupiter de Segundo de Chomon (France,
1908 : un savant rêve qu'il s'envole vers Saturne, puis
vers Jupiter où il se pose et est fait prisonnier par des
indigènes), The airship destroyer de Walter
R. Booth (G.B., 1909 : un film aux allures de documentaire-fiction,
premier d'une longue série montrant le rôle des vaisseaux
aériens dans une guerre future... ), Voyage dans
la lune de Segundo de Chomon (France, 1909 : une sorte
de remake du Voyage dans la lune de Méliès
interprèté par des acteurs chinois!), Un matrimonio
interplenetario d'Enrico Novelli (Italie, 1910 : première
incursion des Italiens dans le domaine du "space opera"
- un Terrien aime une Martienne et lui donne rendez-vous sur la
lune dans un an, temps qu'il lui faut pour construire un vaisseau
spatial...), A trip to Mars produit chez Edison
(U.S.A., 1910 : un savant découvre une poudre anti-gravité
et s'envole pour la planète Mars), etc. Ce que
l'on peut retenir des films produits au cours de cette période,
c'est l'image de l'espace qu'ils proposent aux spectateurs. On s'y
déplace à pied, à cheval et en bulle de savon
et l'on met moins de temps pour aller de la Terre à Saturne
que pour se rendre de Paris à Dijon. L'absence d'atmosphère
et de pesanteur y est passée sous silence et tous les corps
célestes sont habités. Peut-on, dés lors, parler
de science-fiction ? Non, sans doute, du moins pas au sens
premier du terme. En fait, on nage en plein merveilleux sans se
soucier de vraisemblance scientifique. L'astronautique n'intéresse
encore qu'une poignée de théoriciens. Mais l'on exploite,
en revanche, toute la "féérie" liée
à ce thème.
2 - "Après un voyage de quarante
heures, la fusée se pose sur Mars..."
Les choses auraient pu changer
dès 1917. Cette année-là, un Danois du nom
de Holger Madsen réalise un film intitulé Himmelskibet
(A 14 millions de lieues de la Terre) qui passe pour
le premier grand space opera de l'histoire du cinéma.[1] Cette fois, il ne s'agit plus d'une bande
de quelques minutes mais d'un vrai long-métrage de plus d'une
heure trente contant le voyage dans l'espace d'un vaisseau construit
par un certain professeur Planétarios et dirigé par
le capitaine Avanti. Après pas mal de difficultés
(causées, entre autre, par la lassitude de l'équipage,
à deux doigts de se mutiner) et au bout de plusieurs mois,
le vaisseau se pose sur Mars où vit un peuple pacifique et
végétarien haïssant la guerre. Le chef de ce
peuple accepte de raccompagner les Terriens chez eux pour y délivrer
un message de paix et apprendre aux hommes à s'aimer entre
eux. En fait, Himmelskibet est surtout un film
pacifiste réalisé trois ans après le début
de la Première Guerre mondiale, à un moment où
nul ne pouvait dire quand ce conflit prendrait fin. La S.F. y sert
seulement de prétexte à une fable aux intentions louables,
ce qui n'est déjà pas si mal... Mais ceci explique
sans doute pourquoi il reste une exception qui, tout en semblant
annoncer un renouveau dans le traitement cinématographique
du thème du voyage spatial, marque en réalité
la fin d'une époque. Si l'on excepte le Aelita
du Russe Jakov Protazanov, plus ou moins inspiré de Tolstoï
et mettant en scène un jeune savant qui s'envole vers Mars
afin d'y retrouver la fille de ses rêves, il faut attendre
1928 pour voir sortir un film réellement important sur le
sujet : Frau im Mond (La femme dans
la lune) de Fritz Lang. Frau im Mond
est surtout célèbre parce que Lang y a inventé
le compte à rebours. "Lors du compte au moment
du départ de la fusée," écrit Lotte
H. Eisner (in Fritz Lang, éditions de l'Etoile,
1984), "Lang voulait accroître la tension. Au lieu
de compter en augmentant (n'importe quel chiffre pouvait alors donner
le signal du départ), il eut l'idée plus efficace
dramatiquement de terminer le compte par le chiffre zéro.
C'est ainsi qu'il arriva au compte à rebours de 6 à
1, au countdown, qui,
à ce jour est resté le procédé en vigueur."
Lang, obsédé par l'exactitude, consulta plusieurs
spécialistes lors de la préparation de Frau
im Mond, parmi lesquels Hermann Oberth, grand expert sur
la question des fusées et des voyages interplanétaires,
et Willy Ley, dont nous aurons l'occasion de reparler. Bien qu'il
soit "facile de ne voir dans cette fantaisie sur un voyage
de l'avenir qu'une version modernisée du Voyage
dans la lune de Méliès"
(Lotte H. Eisner), Frau im Mond marque incontestablement
le début d'une nouvelle ère dans le traitement du
voyage spatial à l'écran. Désormais, la "vraisemblance
scientifique" aura son mot à dire et il ne sera plus
possible de s'envoler pour Mars, la lune ou Jupiter sur le dos d'un
cheval ou à l'intérieur d'un train Le fait est qu'à
cette époque, la première "vraie" fusée
à combustible liquide, mise au point par Robert Hutchings
Goddard, a déjà été lancée. L'événement
a eu lieu le 16 mars 1926 aux Etats Unis. La durée du vol
a été de 2,5 secondes. L'engin a atteint une altitude
de 12,40 m et parcouru une distance de 55 m avant d'aller s'écraser
dans un carré de choux. Difficile, dans ces conditions, de
continuer à espérer gagner un jour la lune en ballon...
Spoutnik est encore loin... sans parler d'Appolo. Pourtant, l'idée
de "conquête de l'espace" commence à faire
son chemin dans l'esprit du public. Cette idée,
c'est surtout la bande dessinée qui va s'en emparer au cours
des années 30. Plusieurs remarques s'imposent, cependant.
D'abord, faute de modèles "réels" susceptibles
de les inspirer, scénaristes et dessinateurs ont tendance
à traiter l'espace comme un océan où planètes
et satellites seraient comparables à des îles ou à
des continents, et à calquer plus ou moins consciemment leurs
vaisseaux spatiaux sur les paquebots et les sous-marins (à
une exception près, celle de Buck Rogers,
et encore...) existant à l'époque. Ensuite, si l'image
de l'espace a changé depuis les années 10, on est
loin de prendre en compte des paramètres tels que l'absence
de pesanteur ou les formidables distances séparant les planètes.
Dans le même ordre d'idée, on imagine difficilement
que la lune, Mars ou Vénus sont ce qu'on appelle aujourd'hui
des "milieux extrêmes" où l'on ne peut se
déplacer sans prendre un minimum de précautions...
Enfin, l'espace de la bande dessinée (et du cinéma)
des années trente ne s'étend guère au-delà
du système solaire. On explore la lune, certes, Mars, Vénus...
Saturne à la rigueur, ou encore Jupiter... mais l'on ne va
pas plus loin. Ceci posé, l'espace, dédaigné
jusque là par les auteurs de B.D., devient un terrain d'aventure
qu'affectionnent beaucoup les nouveaux héros de papier. C'est
que, à la fin des années 20, la bande dessinée
(américaine) se transforme. Le 7 janvier 1929,
deux personnages font leur apparition dans la presse U.S., rompant
du même coup avec une tradition qui semblait avoir voué
la B.D. à n'être que le support de séries à
caractère humoristique ou caricatural. Au "comique"
des séries d'antan, on oppose brusquement le sérieux
du héros qu'incarnent le Tarzan de Burroughs
dessiné par Hal Foster et le Buck Rogers
de Philip Francis Nowlan dessiné par Dick Calkins (et, dés
1930, par Russell Keaton dans les planches dominicales).
Tarzan n'ira pas dans l'espace. Buck Rogers,
si. Il ne sera pas le seul. Mais il sera le premier. Pas tout de
suite, pourtant, puisqu'il doit d'abord affronter des Mongols faisant
régner la terreur sur la terre. Mais sitôt vaincu ce
enième avatar du péril jaune, il s'envole vers Mars,
la Lune, Jupiter... Les engins spatiaux occupent une place
très particulière dans cette bande. Comme l'explique
Pierre Couperie (in Un héritier de Robida,
introduction à Buck Rogers, Pierre Horay,
Paris, 1977) : "Alors que ses concurrents, "Flash
Gordon" et les autres, feront appel, parfois ou souvent, au
fantastique et à la mythologie, "Buck Rogers" frappe
par son esprit mécaniste, matérialiste. Le merveilleux
y est purement de ce monde, mais c'est un vaste monde : l'univers
s'ouvre devant les héros. Le merveilleux est ce qu'il y a
sur les autres planètes ou à la dérive dans
les espaces célestes. Il est plus encore dans les engins,
dans leurs performances, surtout peut-être dans leur forme
extravagante. (...) Pendant les années trente, les dessinateurs
de Buck créent avec délectation une armée d'engins
plus bizarres et plus compliqués les uns que les autres,
empruntant à l'esthétique de la chaudière,
du percolateur, du marteau pneumatique, du tank, de la torpedo,
de tout ce qui combine brutalement sphères, cylindres et
gros tuyaux, beaucoup plus qu'aux belles formes lisses et intégrées
de l'avion et du sous-marin." Propriété
du National Newspaper Syndicate, Buck Rogers
se voit rapidement opposer par un syndicat concurrent,
le King Feature Syndicate, deux rivaux, Brick
Bradford (en France : Luc Bradfer)
de William Ritt et Clarence Gray, le 24 août 1933, et Flash
Gordon d'Alex Raymond, le 7 janvier 1934. Les
voyages dans l'espace n'occupent pas une place très importante
dans Brick Bradford, du moins au début.
Le héros de William Ritt et Clarence Gray préfère
explorer le temps, les royaumes oubliés, le centre de la
terre ou... les atomes d'une pièce de monnaie. Il finira
par faire comme ses petits camarades, mais tardivement, après
avoir en quelque sorte épuisé toutes les ressources
fantasmagoriques de notre bonne vieille planète. Quant à
Flash Gordon, c'est une bande qui illustre parfaitement
le propos de Démètre Ioakimidis selon lequel "le
vol dans le cosmos ne représente qu'un simple moyen :
le moyen d'amener les personnages à pied d' oeuvre, c'est à
dire sur l'astre où vont se dérouler leurs exploits",
en l'occurence, ici, la planète Mongo. Flash Gordon
n'est pas une "série interplanétaire", contrairement
à une idée assez répandue. C'est une bande
de science fantasy où les héros ne voyagent
dans l'espace que pour se retrouver sur un monde qu'ils ne quitteront
plus (à une courte exception près, en 1942). Cela
dit, Flash deviendra bel et bien un héros
de l'espace s'envolant pour Jupiter et même Alpha du Centaure,
mais il n'effectuera de tels voyages qu'à partir de 1951,
lorsque le dessinateur Dan Barry aura repris en main ses aventures
et son destin. Au début des années 30, d'autres
personnages apparaissent dans la bande dessinée américaine
qui ne vont pas tarder à répondre à l'"appel
des étoiles". L'un d'eux est une femme, Connie
(que l'on connaît en France sous une multitude de noms :
Cora, Constance, Diane, Rosie-Patt, Annie, Nicole, Liliane,
etc.) de Frank Godwin. Connie est née en
1927 et, à l'origine, il s'agissait d'une héroïne
comique. Lorsque la B.D. américaine découvre l'aventure
en 1929, Connie se met au goût du jour en
se faisant détective et aventurière. En 1939, elle
s'élance à la conquête du cosmos dans une série
intitulée Voyages dans le système solaire.
Cette fois, il s'agit d'un vrai space opera. De vaisseaux vénusiens
en croiseurs de bataille martiens, les moyens qu'emprunte la girl-scout
de l'espace pour se promener de planète en planète
sont nombreux et variés et certains fonctionnent même
à l'aldénite, "métal inconnu
isolant de la pesanteur". En 1942, Connie
ira sur la lune, modeste satellite sur lequel elle oublie de se
poser en 1939. Malheureusement, cette bande au graphisme simplet
est une saga réactionnaire au ton désagréable
dont chaque épisode permet avant tout à l'auteur-dessinateur
de se livrer à une démonstration sur le thème :
touche pas à mon pouvoir ! Infiniment plus
sympathique est Mandrake de Lee Falk et Phil Davis,
dont le héros, apparu en 1934, visite la lune en 1938. Comment
se fait-ce ? Le plus simplement du monde. Mandrake
et son fidèle Lothar sauvent des griffes d'un puma un certain
professeur Durbet, inventeur de la "durbène",
substance qui, comme l'aldénite et tant
d'autres qui les ont précédées, "ne subit
pas les lois de la pesanteur" (Wells, qu'aurait-on fait sans
toi ?). Grâce à sa découverte, le savant
a pu construire un aéronef avec lequel il compte se rendre
sur la face cachée de la lune. Mandrake et
Lothar décident de l'accompagner. L'aéronef compte
un passager clandestin, Laure, la fille de Durbet, somptueuse créature
en jupette infiniment plus sexy que Connie et même
que Dale Arden, la fiancée de Flash Gordon...
Après un voyage qui occupe deux planches de la bande, l'aéronef
se pose sur la lune. Les passagers ne s'embarrassent pas de scaphandres
mais ils mettent des casques de verre sur la tête car l'atmosphère
est déclarée "irrespirable" par Durbet.
Puis c'est le voyage sur la "face cachée" où
Mandrake et ses compagnons découvrent une
cité sous globe, Lunatopie, où vivent les descendants
des Atlantes... Merveilleux et poésie font bon ménage
dans cette bande à l'élégance sereine qui comporte
juste ce qu'il faut de notations à caractère vaguement
scientifique pour, sinon la rendre vraisemblable (on n'en est quand
même pas là), du moins permettre de mesurer la distance
parcourue depuis Little Nemo et Le voyage
dans la lune de Méliès.[2] Autre voyageur de l'espace célèbre
qui apparaît l'année même où Mandrake
pose le pied sur la lune, Superman de Jerry Siegel
(scénario) et Joe Shuster (dessin). Car, ne l'oublions pas,
le plus musclé des Américains est un extraterrestre.
Là, il s'agit d'un voyage à l'envers puisque Superman
enfant est envoyé sur la Terre par ses parents, habitants
de Krypton, qui espèrent le sauver de la destruction qui
menace leur planète. Plus tard, Superman aura
maintes fois l'occasion de retourner dans l'espace, et au cinéma
et dans les comic books, mais, comme tous les superhéros
apparus après lui, son invulnarabilité en fait un
voyageur un peu particulier qui n'a besoin ni de scaphandre ni de
vaisseau spatial pour se déplacer hors de l'atmosphère
terrestre. Et au cinéma, que se passe-t-il, pendant
ce temps ? Pas grand chose (du moins dans le domaine qui nous
intéresse, car le parlant a quand même fait son apparition,
ce qui n'est pas rien !). Fritz Lang n'a pas créé
d'émule (sauf en U.R.S.S.) et, si l'on excepte deux curiosités,
Just imagine de David Butler (1930) et Things
to come de William Cameron Menzies (1936, d'après
un scénario d'H.G. Wells), les seuls films à entraîner
les spectateurs dans l'espace sont des serials adaptant des bandes
dessinées (Flash Gordon et Buck
Rogers). Just imagine est une
curiosité en ce sens qu'il s'agit d'une comédie musicale
de science-fiction. Brendel, son héros, est frappé
par la foudre en 1930 et se réveille en 1980. Parmi les changements
intervenus depuis les années trente, on note quantité
de gadgets tels que portes automatiques, télévisiophone,
etc. mais aussi... banalisation des croisières interplanétaires
nous permettant de visiter une planète Mars ressemblant curieusement
aux plaines du Kansas. Quant à Things to come,
son thème n'est pas l'exploration de l'espace mais la guerre,
la paix, le travail, la liberté et toute cette sorte de choses
au cours des décennies à venir. uvre pesante et moralisatrice,
elle se clot sur un voyage interplanétaire car "l'humanité
doit sans cesse élargir ses conquêtes" .
Détail intéressant quand on connaît l'auteur
du scénario, c'est encore ce bon vieux canon imaginé
par Verne qui permet quitter la Terre. Wells aurait pu trouver mieux.
Fritz Lang, disais-je, n'a fait d'émule qu'en U.R.S.S.
En 1936, en effet, sort Kosmitchesky reis (Vaisseau
cosmique) de V. Jouraliov qui ressemble beaucoup, mais alors
beaucoup, à Frau im mond. Une fusée
géante (et soviétique de surcroît) débarque
"par erreur" sur la face cachée de la lune. Les
voyageurs découvrent une matière neigeuse : les
restes de l'atmosphère lunaire. Ils reviennent sains et saufs
sur Terre où ils sont accueillis triomphalement.
Reste les serials. Les années trente et quarante représentent
leur âge d'or. En 1936 sort Flash Gordon rocketship,
un film en 13 épisodes de Frederick Stephani avec Larry "Buster"
Crabe dans le rôle principal. Adaptation relativement fidèle
des premiers chapitres de la bande dessinée d'Alex Raymond,
ce film accorde peu de place au voyage dans l'espace. Comme dans
la bande d'origine, le "rocket ship" du Dr. Zarkov n'est
qu'un moyen pour gagner la planète Mongo où vont se
dérouler les exploits de Flash et de ses
compagnons. Il en va de même pour Flash Gordon's trip
to Mars (Ford L. Beebe et Robert Hill, 15 épisodes,
1938) et, malgré un titre prometteur, pour Flash
Gordon conquers the universe (Ford L. Beebe et Ray Taylor,
12 épisodes, 1940) bien que, dans ce dernier film, Flash
fasse la navette entre la Terre et Mongo au cours des quatre premiers
épisodes. Buck Rogers, en revanche, ne tient
pas en place dans les 12 épisodes du serial que lui consacrent
Ford Beebe et Saul Goodkind en 1939 (toujours avec Larry "Buster"
Crabe dans le rôle principal). Grâce à un vaisseau
spatial inventé par le Dr. Huer (et qui se manoeuvre à
l'aide d'un cabestan !), Buck et ses compagnons
s'envolent pour Saturne, fuyant la Terre où règne
un truand du nom de Killer Kane. Ensuite, ce ne sont qu'allées
et venues entre la Terre et Saturne, les Saturniens ayant accepté
d'aider les Terriens à reconquérir leur liberté.
Le tout se clot par une bataille aérienne où les vaisseaux
saturniens ont raison de la flotte de Killer Kane. Pas mal...
Cependant, on voit par ces quelques exemples ce qu'est l'espace
des années trente dans la bande dessinée et au cinéma.
S'il diffère de celui des décennies précédentes,
c'est parce qu'il est devenu terrain d'aventure après avoir
été piste de cirque mais l'on ne peut pas dire qu'on
le prend au sérieux. Apesanteur et absence d'atmosphère
n'ont toujours pas droit de cité. Obus et substances antigravité
continuent d'être d'un grand secours pour quitter la terre.
Et l'univers ne saurait s'étendre au-delà du système
solaire. Cette situation ne concerne pas que les américains.
A peu de choses près, on la retrouve telle qu'en elle-même
inchangée en Europe. Par exemple, c'est dans un obus que
Zig et Puce gagnent la planète Vénus
en 1935 dans Zig et Puce au XXIe siècle
d'Alain Saint-Ogan, bande charmante où, détail remarquable
pour l'époque, les héros subissent les effets de l'apesanteur.
L'année suivante, toujours en France, Les conquérants
de l'avenir de Caesar Avai [3] se lancent à l'assaut de la planète
Mars mais le voyage dans l'espace, ici encore, n'est qu'un prétexte
pour jeter les héros dans un monde aussi baroque que celui
de Mongo. Citons aussi Ciccio et Cerino, héros de la bande
italienne anonyme La citta futura, qui montent
une expédition pour Saturne en 1934 et se posent... sur l'anneau,
ou bien encore Baglioni et Cassoni, deux auteurs qui font s'entredéchirer
leurs Conquistatori delle stelle pour la possession
d'un vaisseau interplanétaire "antigravitationnel"
en 1941 et l'on aura une idée assez précise de ce
que représentaient l'espace et sa "conquête"
au cours des années 30 et au tout début des années
40 pour les cinéphages et les lecteurs de B.D. Au
cinéma, il va falloir attendre une dizaine d'années
avant qu'un réel changement se produise, mais il sera spectaculaire.[4] Dans la bande dessinée, par contre,
les choses vont un peu plus vite. En janvier 1940, aux
Etats Unis, paraît le premier numéro de Planet
Comics, un comic book publié par "Fiction House"
entièrement dévolu à l'aventure spatiale et
portant en sous-titre :Weird adventures on other
worlds - the universe of the future. Le dessin de
couverture, dû à Proto Celardo (et non à Will
Eisner, comme on peut le lire çà et là), donne
le ton. Il montre un homme et une femme au buste et à la
tête protégés par une sorte de bocal aux prises
avec une horde de cyclopes verdâtres à la chevelure
rose. On est en plein space opera. Planet Comics,
dont les héros se nomment Red Comet, Space Admiral
Curry, Cosmo Corrigan, Flint Baker&mbsp: space adventurer, Futura...
et qui propose des séries intitulées Mysteries
of the universe, Space faces, Life on other worlds, etc.,
est le premier vrai comic book de science-fiction de l'histoire
de la B.D. Les auteurs-dessinateurs ne font pas dans la dentelle
mais leurs personnages sillonnent l'espace en tous sens à
bord de vaisseaux spatiaux ressemblant tantôt à des
bombardiers dépourvus d'ailes, tantôt à des
sous-marins, tantôt à des transatlantiques... et même
si les planètes du système solaire sont encore leurs
points de chute préférés, il arrive que l'existence
de mondes plus "exotiques" soit évoquée.
En Europe, bien sûr, à cette époque, on
ignore tout de Planet Comics. Au début des
années 40, la parution du premier comic book de science-fiction
n'est pas franchement l'événement qui captive le plus
ceux qui vivent de ce côté-ci de l'Atlantique. Par
ailleurs, le matériel américain, qui prédominait
dans les illustrés pour la jeunesse des années trente,
commence à se faire rare. Alors, les Européens s'inventent
leurs propres héros. En 1943, dans le Daily Mirror,
paraît le premier épisode des aventures de Garth,
personnage créé par Steve Dowling et qui sera repris
de 1971 à 1976 par Frank Bellamy. Si Garth
a droit à une mention dans cet essai, ce n'est pas pour ses
premières aventures qui lui font côtoyer dieux et déesses
dans un univers de pure fantasy mais plutôt pour
des épisodes tardifs qui lui vaudront de visiter toutes les
galaxies (pas moins !) à bord de fusées, de vaisseaux
spatiaux, de soucoupes volantes et autres engins franchement bizarroïdes...
Garth est un personnage qui n'a pas d'équivalent
dans la bande dessinée réaliste. Voyageur de l'espace
et du temps, fin limier et pourfendeur de loups garous, découvreur
de civilisations disparues, amant de déesses réincarnées,
adversaire ou compagnon de dieux oubliés, c'est un explorateur
de l'impossible qui compte parmi les créations les plus originales
de la bande dessinée britannique. Bien différents
sont le professeur Arnoux et son neveu Norbert qui s'envolent
Vers les mondes inconnus sous le crayon de Liquois dans
le magazine nazi Le Téméraire en
1943. Cette série, qui entend remplacer Flash Gordon
auprès des jeunes lecteurs de la France occupée, utilise,
elle aussi, le voyage dans l'espace comme un moyen. Après
avoir quitté la Terre en fusée, Arnoux et Norbert
se posent sur une planète inconnue où ils vivent des
aventures vouées à la défense et à l'illustration
des valeurs du IIIe Reich.[5]
Comme quoi, Eduardo Rothe voyait juste lorsqu'il écrivait
dans l'Internationale situationniste de septembre
1969 : "Le pouvoir, qui ne peut tolérer le
vide, n'a jamais pardonné aux territoires d'ultraciel d'être
des terrains vagues livrés à l'imagination"...
Ces "terrains vagues", les Européens
- et en particulier les Français - vont avoir beaucoup de
mal à se les réapproprier dans les années d'après-guerre.
Maintenant, les fusées, on connaît, et l'exploration
de l'espace commence à s'inscrire en lettres de néon
à l'horizon des futurs possibles. Mais en France, la loi
de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse
va donner un sérieux coup de frein au délire créatif
des auteurs de bandes dessinées. Pourtant, avant que ne soit
votée cette fameuse et sinistre loi (dont le but premier
est surtout de faire barrage aux productions américaines...),
quelques héros auront le temps de s'enfuir dans l'espace.
En 1945, par exemple, naissent Les pionniers de l'Espérance
de Roger Lecureux (scénario) et Raymond Poïvet (dessin)
dans Vaillant. Roger Lecureux a raconté
la génèse de cette série dans le n 4 de la
revue Phénix "Le pays sortait
de la guerre et la bande dessinée française, balbutiante,
oscillait entre les histoires de résistance et les histoires
construites sur les thèmes de toujours : western, etc.
Un seul genre, à mon avis, pouvait donner satisfaction à
la jeunesse (...) : la science-fiction. (...) L'idée
des "Pionniers" m'est venue et cette histoire, dés
le début, connut un succès très encourageant...
Elle avait une particularité : contrairement à
toutes les séries publiées alors, cette histoire ne
présentait pas les exploits d'un héros unique, d'un
seul personnage. Le héros, ici, était le "groupe",
l'équipe. Nous arrivons au titre. Une équipe de pionniers,
donc : "Les Pionniers". Mais pourquoi "de l'Espérance" ?
Qui se souvient encore, vingt ans après, que l'"Espérance"
était le nom du vaisseau de nos héros ? (...)
Le vaisseau, conçu avec beaucoup de logique par mon ami Poïvet,
a depuis longtemps disparu, effacé par d'autres engins plus
logiques encore, plus scientifiques. Le vaisseau a disparu mais...
l'Espérance est restée ! Le titre, en se généralisant,
a donné le ton exact et définitif de notre histoire.
Les cosmonautes et les hommes de l'espace d'aujourd'hui ne sont-ils
pas les "pionniers" du monde de demain ? Et ce monde
n'est-il pas celui de l'espérance ?...
Tout est dit... à cela près que Les pionniers
de l'Espérance est peut-être la première
vraie grande bande dessinée de science-fiction francophone,
tant en ce qui concerne les histoires que le dessin, et qu'elle
marque, mine de rien, l'intrusion de la "vraisemblance"
scientifique dans ce genre de série. Autres personnages
de B.D. à voyager dans l'espace de l'immédiat après-guerre,
le savant Etienne Launay, sa fille Jane et son assistant Jacques
Sylvain, héros du Kaza le Martien de Kline
publié dans O.K.[6]
Kaza le Martien commence bien. On y apprend qu'il
a fallu "six ans de travail" au professeur
Launay pour mettre au point sa fusée, ce qui est sensiblement
plus "vraisemblable" que l'année réclamée
par le héros du film Un matrimonio interplenetario,
par exemple... Nos héros ne tardent pas à quitter
la terre (pour échapper à une horde de Mongols...)
et bientôt, "à la vitesse de 855 kilomètres/seconde,
la fusée poursuit sa route vers Mars" mais...
"l'aiguille de l'empodiographe indique la présence
d'un météorite". Passons sur le fait que
"météorite" est du genre féminin
mais retenons que Launay, sa fille et son assistant sont parmi les
premiers à affronter ce qui va devenir pendant de nombreuses
années l'un des clichés les plus éculés
des histoires (dessinées et filmées) de voyages dans
l'espace : la rencontre avec une météorite.[7] Même Tintin n'y
échappera pas ! Cela dit, cette "rencontre"
prouve au moins qu'on accorde au voyage proprement dit un peu plus
d'attention qu'auparavant. Malheureusement, deux planches plus loin,
"après un voyage de 40 heures", la
fusée se pose sur Mars et la série bascule dans une
sorte de sous-Flash Gordon aux péripéties
poussives. Pas question, bien sûr, de passer en revue
tous les héros de bande dessinée explorant le cosmos
avant 1949 mais une mention spéciale doit tout de même
être attribuée aux Conquérants de l'infini
de F.A. Breysse qui paraît en 1947 dans le très catholique
Coeurs Vaillants. Curieuse bande que ces Conquérants
qui, par bien des côtés, préfigure le On
a marché sur la lune de Hergé tout en accordant
une place beaucoup plus large à la fantaisie (voire, carrément,
à la fantasy) que chez Tintin.
Il s'agit d'une aventure d'Oscar Hamel, d'Isidore et du chien Titus
(lequel foule le sol lunaire revêtu d'un scaphandre avec cinq
ou six années d'avance sur Milou), personnages créés
par Breysse, où abondent détails techniques et notations
scientifiques. Le professeur Orionus, inventeur de la fusée
transportant nos héros dans l'espace, connaît son sujet.
Il sait qu'il n'y a pas d'atmosphère sur la lune et que la
pesanteur y est sept fois moindre que sur la Terre. Il a prêté
une attention particulière à l'étanchéïté
de sa fusée car la température qui règne dans
l'espace est "exactement 275 degrés au-dessous
de zéro"... Quant aux cosmonautes, s'ils peuvent
respirer au cours de leur voyage, c'est "grâce
à des régénérateurs à l'oxylithe
qui absorbent le gaz carbonique de l'air et restituent l'oxygène
nécessaire." Pourtant, la lune de F.-A. Breysse,
contrairement à celle d'Hergé, est habitée.
Un petit peuple de "Luniens" y vit dans des maisons ressemblant
à des champignons et des monstres reptiliens leur causent
beaucoup de tracas. Les Terriens aideront les "Luniens"
à se débarrasser de leurs ennemis en précipitant
les bêtes immondes dans un gouffre sans fond. Un tel mélange
de vraisemblance scientifique et de pure loufoquerie est d'autant
plus surprenant qu'il concerne une bande publiée dans un
hebdomadaire catholique et que les catholiques compteront parmi
les plus farouches pourfendeurs de séries de S.F. "délirantes"
(ou supposées telles) après 49. Pour des raisons qu'il
serait trop long d'exposer ici, imaginaire et catholicisme n'ont
jamais fait bon ménage.[8]
Il y a donc fort à parier que Les conquérants
de l'infini a dû froisser plus d'une soutane au moment
de sa parution et que seuls les discours à caractère
ouvertement pédagogique du professeur Orionus ont dû
lui éviter les affres de l'autodafé. Au cinéma,
nous l'avons vu, les voyages dans l'espace ne font pas recette dans
les années 40. C'est à peine si l'on peut citer quelques
serials made in U.S.A. comme le Brick Bradford
de Spencer Bennet (1947, 15 épisodes, avec Kane Richmond
dans le rôle principal), le Jack Armstrong
de Wallace Fox (1947, 15 épisodes, avec John Hart et Rosemary
La Planche) ou le Superman de Spencer Bennet et
Thomas Carr (15 épisodes, avec Kirk Alyn dans le rôle
de Superman). Le Brick Bradford
de Bennet propose un moyen de transport inédit pour se rendre
sur la lune : une "porte de cristal". D'un côté,
c'est la terre, de l'autre, la lune. En fait, la "porte"
en question est la conséquence d'un budget tellement étriqué
qu'il ne permettait ni l'emploi de maquettes ni la construction
d'un décor montrant l'intérieur d'une fusée...
Jack Armstrong met en scène une sorte de
vaisseau orbital à partir duquel un savant fou veut détruire
le monde. Quant à Superman, le serial commence,
comme la B.D., par la croisière intergalactique du bébé
prodige que ses parents envoient sur terre pour le sauver de l'explosion
de la planète Krypton. Voilà où l'on
en est lorsque l'on change de décennie. Or soudain, le monde
est pris de frénésie spatiale... (deuxiéme partie)
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