Mars aller-retour (Menschen zwischen den Planeten - 1955)
Extrait (p.266 - 272)


 La pénétration de l'astronef de débarquement Oberth dans l'atmosphère de Mars se déroula exactement comme le retour des astronefs de Sirius à la terre. Haynes était aux commandes de l'appareil. Holt avait pris place à côté de lui. Il observait les appareils et les compteurs et n'ouvrait que rarement la bouche pour faire une brève réflexion.

Il s'était toujours imaginé que l'arrivée dans l'orbite de Mars provoquerait un éclat de joie chez les hommes, heureux et soulagés d'arriver, fiers aussi d'avoir tenu si longtemps. Il s'attendait à voir sur tous les visages une expression de joie recueillie, il espérait que tous y puiseraient une énergie nouvelle.

Mais rien de tel ne s'était produit. Au contraire, sur tous les visages, on pouvait lire l'inquiétude et la préoccupation du retour, et une lassitude indicible, le relâchement brusque de l'énergie après une trop grande tension nerveuse et psychologique.

Lui-même dut s'avouer qu'il n'avait éprouvé qu'une joie furtive et comme inquiète, un bref mouvement de fierté aussitôt évanoui, aussitôt après le succès de la manoeuvre de raccordement. Rien qu'il ait pu avouer à ses compagnons; aucune exaltation communicative. Les savants eux-mêmes s'étaient comportés tout différemment de ce qu'on attendait d'eux. Leur raison avait pris objectivement connaissance de l'exploit accompli. Puis ils avaient pensé aux conséquences particulières que cela entraînait dans leurs sciences respectives, c'était tout. Pendant le voyage, ils avaient évité de surmener leur esprit, afin de garder toute leur énergie pour le travail qui ne commencerait qu'une fois arrivés. Ils faisaient leur travail et passaient le reste du temps allongés sur leurs couchettes. Tandis qu'ils végétaient, somnolaient, dormaient, ils n'avaient plus qu'un seul désir : en avoir fini au plus vite, récupérer des forces, se maintenir en forme pour avoir le plus de chances possible de survivre et de rentrer. Il lui avait fallu longtemps pour s'en rendre compte, mais maintenant il était sûr que tous ne rêvaient que de fouler à nouveau le sol de la terre. Seuls Benhog et Spencer, les plus âgés de la troupe, avaient tout supporté avec une patience admirable. Parfois, ils passaient des heures ensemble à regarder par un hublot, en poursuivant une conversation - ou ce qui tenait lieu de conversation à bord des astronefs : un échange de monosyllabes... Ils étaient les seuls à sembler s'intéresser vraiment à l'expédition et à y voir comme le couronnement de leur carrière. Le retour ne pressait pas; ils avaient le temps. Holt espérait que l'effet de la pesanteur de Mars et la possibilité de mouvoir plus librement ses membres amélioreraient un peu le moral de ses hommes. Pour l'instant, au cours de ce vol plané qui n'en finissait pas, ils n'avaient aucune raison particulière de se réjouir, car ils devaient constamment porter leurs incommodes combinaisons pressurisées, et personne n'aurait pu affirmer que le contact avec Mars se ferait sans dommages.

A 200 kilomètres d'altitude, l'indicateur électrique d'altitude commença à fonctionner. Cela fit autant plaisir à Holt que le salut d'un vieil ami perdu depuis longtemps; il regardait le cadran, ému comme s'il entendait une voix chère. On n'était pas tout à fait hors du monde, puisque les lois physiques étaient encore valables. Lorsque, à 180 kilomètres d'altitude, Haynes annonça que le gouvernail répondait un peu et passa les commandes à Holt pour qu'il s'en rendît compte par lui-même, une grande joie les envahit. Sans songer à sa combinaison pressurisée, Holt voulut se retourner pour annoncer la bonne nouvelle à ses compagnons. Il les vit en face de lui, assis en rang comme dans un autocar, seize formes figées dans une attitude hiératique, seize têtes que le casque protecteur rendait toutes rondes, seize robots qui le fixaient avec étonnement. Aucun des hommes ne put voir son sourire sous la plaque polaroïde de son casque. Ils ne virent qu'un autre robot, une combinaison pressurisée qui devait contenir Holt...

L'indicateur barométrique d'altitude commença lui aussi à s'animer, et c'était un nouvel indice rassurant, car cela signifiait la présence d'une atmosphère et, même irrespirable, cela faisait du bien de retrouver de l'air.

Bientôt, une légère pesanteur commença même à se faire sentir. C'était encore bien peu de chose, et, au début, cela ne fit que provoquer un léger malaise. En effet, pendant les trois premiers quarts d'heure de la descente, s'exerçait une légère « pesanteur négative », c'est-à-dire une pesanteur qui s'exerçait de bas en haut. Elle n'était cependant que de 1/30e de g. Peu à peu, elle devint nulle, puis positive, et se mit à croître très lentement. Ce n'est qu'au bout de 80 minutes que la pesanteur définitive de 0,38 g (normale sur Mars) était atteinte.

Tous se mirent à ressentir des démangeaisons dans la colonne vertébrale; ils avaient l'impression que leur tête devenait de plus en plus lourde et se demandaient s'ils n'étaient pas malades. Car après 260 jours sans pesanteur, ils avaient du mal à imaginer ce que ce pourrait être et il leur fallut un moment pour comprendre la vraie cause de leur malaise. Ils essayèrent de mouvoir leurs membres - mon Dieu, comme ils étaient lourds! Et à cette altitude! Que serait-ce à la surface? Pourraient-ils supporter la pesanteur de Mars, bien qu'elle fût trois fois plus faible que celle de la terre?

Haynes consulta la bande-pilote magnétique; tout allait bien, ils suivaient la trajectoire déterminée par les calculs et se dirigeaient vers le pôle sud de la planète.

Durant quelques secondes se produisit un phénomène lumineux d'une prodigieuse intensité : tout à coup, la nacelle fut baignée d'une lueur intense et mate, d'un blanc laiteux, qui entoura tous les assistants d'un étrange halo lumineux, avant de disparaître tout aussi soudainement. Cela se reproduisit encore quelques fois, puis cessa, au grand soulagement de tous.

On vit également des phénomènes lumineux sur la planète. Elle se teinta un instant d'un rose argenté. On vit même des nuages. Ils étaient émerveillés de revoir des nuages, surtout à une telle altitude...

Le paysage qu'ils découvraient était merveilleux. On ne pouvait le comparer à rien qu'on ait déjà vu sur terre, et on ne pouvait pas davantage expliquer la signification des formes et des couleurs qui se jouaient à la surface de la planète. Il y avait des zones d'une forme étrangement circulaire, dont le centre avait un éclat rouge sombre, tandis que les bords se dégradaient en un jaune clair éclatant. Il y avait des taches rondes d'un vert tendre étonnant, d'autres vert sombre. On voyait encore de larges bandes vert foncé qui contrastaient étrangement avec les zones rouges et jaunes qu'elles traversaient; tantôt elles se coupaient ou se confondaient en formant des noeuds monstrueux, tantôt elles couraient parallèlement sans jamais se rencontrer. Les bords de ces bandes vertes étaient irréguliers, comme rongés ou déchirés. A l'horizon, toutes les teintes se fondaient en une couleur violette d'une étonnante richesse de nuances, du plus foncé au plus clair; un peu plus haut le ciel devenait presque sans transition d'un bleu roi intense, sur lequel flottaient des petits nuages roses.

A bord d'Oberth, tous regardaient, médusés. Ils avaient beau écarquiller les yeux dans toutes les directions, il était impossible de déceler la moindre trace de vie. A force de regarder avec attention et de laisser travailler leur imagination, ils arrivaient bien à se convaincre qu'ils voyaient ici ou là quelque chose qui rappelait la présence d'une vie organisée, mais cette conviction ne résistait pas à l'examen. La couche de neige qui couvrait le pôle semblait très mince. La limite des neiges, éclairée par le soleil, étincelait. Les accidents de terrain, du moins d'après les petites éminences qu'ils voyaient, ne semblaient pas avoir plus de 300 ou 400 mètres d'altitude. Par endroits, on voyait des étendues d'un bleu-vert mat qui ressemblaient à des lacs aux rives découpées. Était-ce de la glace? Les surfaces vertes avaient l'apparence du velours, les rouges, jaunes et ocres semblaient être des roches sur lesquelles aucune vie ne pouvait se développer. Ils furent frappés du fait que toutes les couleurs étaient soit très estompées soit d'une insoutenable intensité et d'un éclat surprenant. Pas de forêts, pas de champs, pas de montagnes, seulement de place en place une petite dénivellation. Des petits nuages de poussière rouge-brun se traînaient sur le paysage, comme un voile ténu ou des flocons de coton sale. Tout semblait couvert de poussière, et ils pensèrent qu'il fallait attribuer la nuance plus pâle de certaines teintes à cette couche de poussière. Bien que le soleil parût tout petit, la lumière était aveuglante; le tout donnait l'impression qu'il faisait une chaleur torride. Ils furent effrayés, lorsqu'ils consultèrent les thermomètres extérieurs, de voir qu'ils indiquaient un froid glacial.

A 39 kilomètres d'altitude, Oberth passa le mur du son, mais en sens inverse, en ralentissant. Les voyageurs furent brusquement saisis de troubles divers, leur coeur se mit à battre follement. Un vacarme assourdissant leur déchira les oreilles... Puis, ils virent à leurs pieds le paysage blanc et rose : c'était la calotte glaciaire du pôle. Au loin la limite des neiges...

Les dernières manoeuvres : on sort les skis du train d'atterrissage, on boucle les ceintures de sûreté... Un bruit mat, la longue glissade dans la neige... Silence. Ils restaient immobiles.

Dix-huit robots restaient immobiles, le souffle court, dans un silence impressionnant. Ils n'osaient faire un mouvement.

Ils avaient peur de succomber au premier effort. Ils avaient l'impression d'être écrasés par des masses de plusieurs tonnes. Ils entendaient le battement de leur propre coeur...

Haynes fut le premier à se ressaisir. Il ouvrit la valve d'aération de la cabine. Lorsqu'il eut constaté que la cabine était restée étanche et que la pression se maintenait, Haynes enleva son casque. Les autres l'imitèrent. Mais ils restèrent assis en silence. Ils ressentaient des picotements dans les oreilles, ils entendaient des bruits bizarres, des cascades d'eau bruissantes... Ils avaient atrocement mal à l'estomac.

Ce n'est qu'au bout d'un instant que Mars entendit résonner les premières paroles humaines. Gary Holt articula d'une voix blanche

- Nous y voilà!

Telle fut leur arrivée sur Mars.

CHAPITRE VIII

MARS

Sur le conseil du docteur Barrett, Gary Holt attendit près de trois heures avant de faire remettre les casques et ouvrir la trappe de sortie, après avoir lentement et prudemment abaissé la pression dans la cabine. Ce n'étaient guère des conquérants, ces hommes qui, après s'être péniblement extraits du sas, restaient un moment debout sur l'aile, en regardant autour d'eux en silence. Aucun, non plus, ne sauta au sol de la hauteur de six mètres à laquelle ils se trouvaient, ainsi qu'ils l'avaient si souvent vécu en pensée. Ils étaient tous trop pesants. On descendit une échelle dans la neige.

Symboliquement, Gary Holt invita Bruce Spencer à mettre le premier le pied sur Mars.

Avec des précautions infinies, sachant combien il était urgent de quitter les incommodes combinaisons pressurisées, l'équipe de débarquement se mit à décharger le précieux et lourd équipement. Les conducteurs des trois traîneaux à chenilles firent lentement descendre la rampe de débarquement à leurs machines. Puis les trois tentes gonflables avec leurs générateurs d'air furent déchargées et aussitôt gonflées à bloc. Suivirent une caisse de médicaments, quelques provisions, trois réchauds, des couvertures et les sacs de couchage; et ce fut tout le travail qu'ils purent faire ce jour-là. Morts de fatigue, sans se soucier le moins du monde des dangers possibles, les explorateurs se coulèrent dans les tentes par le sas, se débarrassèrent de leurs combinaisons pressurisées, se glisserent ...


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