LEIGH BRACKETT, Dame de Mars, Vénus et autres mondes
par Charles MOREAU
1e partie: LA QUÊTE MARTIENNE 


A Leigh Brackett, bien sûr.
A Peter John et à Bernard,
A Dominique Calvet.
ainsi qu'aux écrivains qui m'ont aidé,
Ray Bradbury, Basil Wells, David C.Smith
Jean-Pierre Moumon et Daniel Riche
Sans oublier Richard D. Nolane et Pierre K. Rey.

Leigh Brackett et Edmond Hamilton 

 Leigh Douglass Brackett est née le 7 décembre 1915 à Los Angeles,Californie (décédée le 17 mars 1978 à Lancaster, Cal.). Elle était la fille de William Franklin Brackett, comptable de son état, et de Margaret Leigh Douglass. Les Brackett descendaient d'une vieille famille écossaise venue s'installer avec les Forty-Niners (participants de la première ruée vers l'or en 1849) en Californie. William Brackett mourut alors que sa fille n'avait pas trois ans. Plus tard en rangeant des papiers de famille, celle-ci s'aperçut que son père aimait écrire et elle pensa qu'elle lui était probablement redevable de ce don.
Elle vécut une partie de son enfance à la Nouvelle- Orléans et à Boston, mais elle n'y demeura que peu de temps. De retour en Californie, elle grandit non loin de la splendide plage alors presque déserte de Santa Minora, ce qui favorisa de long-ues rêveries au bord de l'Océan et par la suite un certain goût pour les épopées maritimes.
Son premier essai littéraire eut lieu à l'âge de neuf ans. C'était une suite aux aventures des films de Douglas Fairbanks qu'elle admirait (Don Q ou La marque de Zoo). A treize ans, elle se mit à écrire des nouvelles et des poèmes dan ses cahiers mais elle n'en conserva rien.
Elle fut éduquée dans un collége de soeurs catholiques qui parlaient et lui apprirent le français et l'allemand qu'elle pratiqua toujours parfaitement. Les auteurs qu'elle découvrit en premier lieu furent Edgar Rice Burroughs dont les romans martiens (Les dieux de Mars) l'impressionnèrent à jamais, Arthur Conan Doyle (Le gouffre Maracot) qu'elle lut dans le Saturday Evenine Post, Kipling et Rider Haggard. Plus tard ses lectures se portèrent vers des auteurs aussi Importants que Steinbeck ou Hemlngway, puis vers les auteurs du Roman Noir tels que Dashiell Hammett, James Cain et Raymond Chandler qui lui servirent de modèles sur le plan stylistique.
Dans son avant-propos au Livre de Mars (CLA n°21-Opta 1969), elle déclare: "Sans doute est-ce à mon sang écossais que je dois d'avoir préféré à tout autre la planète Mars de Burroughs. Le romantisme des Celtes attachés aux causes perdues, au déclin des choses nobles est bien connu...". En 1946, la future romancière de La maison des Sorcières (Col. Angoisse n° 3 Fleuve Noir, 1954), Evangeline Walton, publia une trés belle adaptation du quatrième Mabinogi sous le titre The Virgin and the Swine. On peut penser que Leigh Brackett en eut connaissance et en profita pour étudier cet ensemble de récits de la Mythologie Celtique que sont les Mabinogion, ainsi que le roman Gallois de Kuhlwch et Olwen (préfiguration de La geste d'Arthur) rattaché au même tronc, et où elle puisera outre son inspiration, de nombreux noms propres, tels que Rhiannon, Caer, Penkawr, Llyr, etc.., qu'on retrouvera dans plusieurs de ses histoires, leur conférant ainsi une coloration exotique certaine.
Ses études terminées, Leigh Brackett se mit en devoir d'enseigner à son tour et elle le fit avec beaucoup de conviction dans deux domaines: l'art dramatique et la natation!
Vers la fin des années trente, elle s'inscrivit à la Science Fiction League de Los Angeles (LASFL), un Club de la côte Ouest qui tenait ses meetings à la Clifton's Cafeteria, située au 648 South Broadway, et que fréquentaient aussi bien des auteurs confirmés et des amateurs qui allaient devenir de futurs écrivains, tels que Forrest J. Ackerman, David Keller, Arthur K. Darnes, Henry Kuttner, Eando Binder, Julius Schwartz, Ray Bradbury et bien d'autres.
En 1938, elle y fit la connaissance de deux hommes qui jouèrent un rôle important dans sa vie: le premier Ray Bradbury n'avait alors que dix-huit ans et était étudiant; c'est à ce moment-là déclare celui-ci qu'est née une solide amitié. Leigh vivait à cette époque en partie chez sa mère, dans l'ouest de Los Angeles, et en partie chez son grand-père, à Venice (où habitait Ray). Comme leurs domiciles étaient proches, l'un de l'autre, Ray rendait fréquemment visite a la jeune femme et lui soumettait ses tentatives d'écriture dans le domaine S.F. Chaque dimanche, ils faisaient de longues promenades le long de Muscle Beach, plage des culturistes californiens. Leigh lui fit ainsi connaître au cours d'une discussion l'oeuvre de Hammett; le second, Henry Kuttner l'aidera à mettre au point et à publier sa première nouvelle dans la prestigieuse revue Astounding S.F., nouvelle intitulée ô combien symboliquement : Martian Quest, et qu'elle vend en 1939, au tout récent rédacteur en chef de l'époque, John William Campbell Jr, qui venait de succéder fin 1937, à Orlin F. Tremaine.
Martian Quest parait donc dans le numéro d'Astounding daté de février 1940 et est écrite sous la double influence du style de Kuttner et des idées déjà précises de John William Campbell en ce qui concerne la Science- Fiction. On y trouve, en effet, une rigueur de l'explication scientifique qui montre bien que les auteurs de l'époque savaient déja d'une manière précise quel type de récits lis devaient envoyer ou non à telle ou telle revue. Disons que cette nouvelle relate, bien entendu, un épisode de la colonisation martienne où le héros. un chimiste déchu qui tente de se recycler en devenant fermier, va résoudre un problème scientifique qui permettra la survie de deux points de colonisation. En un sens, c'est la moins "Brackettienne" si l'on peut dire des nouvelles de l'auteur qui visiblement n'avait pas encore soit approfondi son univers ou soit l'avait écrite à l'intention précise de la revue.
C'est dans le numéro d'avril de la même année qu'on trouve la seconde nouvelle publiée de Leigh Brackett. The treasure of Ptakuth qui relate l'aventure d'un terrien, Terry Shane, rétribué par la Fondation Archéologique Martienne, et parti à la recherche du trésor de l'ancienne Ptakuth dans le désert martien, en plein territoire Shunni. Shane va parvenir à ses fins, non sans avoir manqué de découvrir le secret de l'immortalité. Leigh commence donc déjà à dresser la carte de la future planète Mars dans laquelle évolueront quelques années plus tard Matt Carse et Eric John Stark.
Afin d'en terminer avec son travail pour Astounding, il convient de signaler sa troisième et dernière nouvelle pour cette revue, nouvelle significative à plus d'un titre. The sorcerer of Rhiannon (février 1942) parait au même sommaire que There shall be darkness de C.L. Moore, sa seule véritable rivale (et amie) de l'époque. dont il faut aussi le dire, les nouvelles (celles de Northwest Smith, l'aventurier de l'espace) n'ont pas dû être sans l'influencer même si elles étaient publiées dans une autre célèbre revue, Weird Tales. The sorcerer of Rhiannon contient en germe presque tous les ingrédients qui vont faire le succès de son roman, Sea-Kings of Mars plus connu chez nous dans la traduction donnée par le Fleuve Noir, La Porte sur l'Infini (Col. Anticipation n° 92, 1957) et réintitulée, L'épée de Rhiannon dans l'édition Marabout en 1974. Cette histoire met en scène un terrien, Max Brandon, aventurier à la recherche d'un trésor archéologique et qui découvre dans le désert martien, lors d'une tempête, à bord d'un étrange navire. les corps bien conservés d'un homme et d'une très belle jeune femme. Il s'agit d'un roi sorcier de l'ancienne Mars et de sa rivale qui attendaient là le moyen de se réincarner. Le sorcier de Rhiannon s'empare alors du corps de Bran- don et lui enjoint de partir à la recherche des Des de Rhiannon où se trouve une crypte renfermant tout le savoir scientifique de sa race. En chemin Brandon est rejoint par la femme qu'il aime, Sylvia. qui elle aussi à son tour va se trouver possédée par la belle Kymra de Prirn Cen. Dans la crypte va se dérouler, par personnes interposées, l'affrontement des deux entités martiennes, et seul l'énergique Brandon parviendra à mettre à la raison, non sans mal, le roi sorcier et sa rivale.
Leigh fut encouragée dans ses débuts littéraires par sa famille et particulièrement par son grand-père qui lui fit confiance. Et puis il fallait bien vivre, car à cette époque le métier d'écrivain de S.-F. ne rapportait pas grand chose. Il fallait donc diversifier son travail et taper au plus grand nombre de portes possible.
Sa troisième nouvelle à paraître fut donc publiée dans Strange Stories en août 1940. The Tapestry Gate (La Tapisserie maléfique - Fantastik n°13 - ed.Campus - 1983), récit fantastique, le seul qu'elle ait écrit, est encore un témoignage de l'aide que lui apporta Henry Kuttner car elle figure au même sommaire qu'une de ses longues nouvelles, The Seal of Sin, et on y sent nettement l'influence de son style. De plus, c'est un court thriller où l'on voit un homme, Dick Stratton, se débarrasser de sa jeune femme dépensière, d'une manière originale. Le crime est presque parfait...

" Naturellement Planet n'était pas Astounding, et ne prétendit jamais remplacer cette revue et ce fut une chance pour beaucoup d'entre nous qui aurions périclité si John William Campbell Jr. avait été le seul acquéreur de nos oeuvres. De toute manière, il n'y avait pas assez de place pour nous tous dans ce magazine..." Ainsi s'exprime Leigh Brackett avec un rien d'humour dans sa préface à The Best of Planet Stories qu'elle compila pour l'éditeur Ballantine en 1975 et où elle prit chaleureusement la défense du Space Opera. Car Planet Stories, une des dix revues où elle devait produire l'essentiel de son oeuvre, allait lui offrir le meilleur et le plus important des débouchés pour ses histoires martiennes et vénusiennes.
En tout de 1940 à 1955 où la revue s'arrêta, elle y publia régulièrement une vingtaine de récits comprenant à la fois des romans et des nouvelles, allant du Space Opera le plus pur, à l'Heroic Fantasy des romans martiens, et se dérou- lant à l'instar des cycles d'Edgar Rice Burroughs, sur des .mondes tels que Mercure, Vénus, Jupiter et ses lunes, Alpha du Centaure et bien d'autres.
C'est par une courte histoire, encore très Westernienne, qui se déroule dans les marais vénusiens qu'elle débuta dans Planet en novembre 1940. The Stellar Legion (Fantastik n°12-ed.Campus-1982) est aussi intéressante pour plus d'une raison : d'abord elle met en scène un terrien dégradé, un martien des bas canaux qui garde la nostalgie de "Jekkara de son air sec, de ses petites femmes brunes, de ses tavernes et du Thil de chez Madame Kan, cette boisson glacée aux tons verts, pétillant dans des coupes bleues", un géant étrangleur de Titan et un inflexible commandant vénusien. Ces quatre légionnaires perdus dans les marais de Vénus, lors d'une révolte des Nahalis vont s'affronter car parmi eux s'est glissé un traître qui veut déserter... Ensuite parce qu'il semble bien qu'elle ait été écrite par Leigh Brackett seule.
Cette histoire aurait bien pu lui être inspirée par les récits d'un troisième écrivain qui allait louer le plus iniportant des rôles dans sa vie, l'écrivain confirmé qu'était à l'époque pour une débutante comme Leigh, celui qui devait devenir son futur époux, Edmond Hamilton.
Leigh fit sa connaissance durant l'été 1940. Alors de passage à Beverly Hills, Hamilton venait de rencontrer Mort Wesinger et Julius Schwartz, son agent littéraire.
Schwartz (qui par la suite fut l'un des principaux rédacteurs et directeur de la firme des Comics D.C.) était à ce moment-là l'agent d'écrivains tels que Robert Bloch, Alfred Bester, Otto Binder, H.P. Lovecraft avant d'être celui de Ray Bradbury. Il présenta la jeune Leigh Brackett à Hamilton et à Jack Williamson lui aussi écrivain confirmé de longue date. Hamilton la revit durant l'été 1941 à Los Angeles; puis en 1946, après avoir correspondu avec elle pendant les années de guerre, il revint à Hollywood et l'épousa quelques mois plus tard le 31 décembre. Ray Bradbury fut leur témoin.
Entre temps, Leigh qui avait à charge sa famille, étendit sa collaboration à d'autres revues, telles que Startling Stories, Super Science Stories, Science Fiction, Amazing Stories, Cornet, et enfin à Thrilling Wonder Stories (1944).
Comme ces récits étaient assez mal payés, elle se lança dans l'écriture d'un roman policier qu'elle intitula No good from a corpse. Ce roman devait jouer un rôle capital dans sa carrière. Il parut en 1944, chez Coward - McCann, N.Y., et relatait les aventures d'un détective privé, appelé Ed Clive, qui doit rechercher les meurtriers d'une femme qu'il avait aimée, Laurel Dane. Le roman fut très bien accueilli et édité en paperback par Handi Books. Par la suite, elle en écrivit un second, Stranger to Home (1946), pour le compte de l'acteur George Sanders qu'elle admirait beaucoup. Mais Hollywood fascinait beaucoup la jeune femme. En 1945, elle travailla pour la première fois sur un court métrage fantastique: The Vampire's Ghost pour la firme Republic, film d'épouvante réalisé rapidement, a ten-day wonder, et sans grand intérêt. Puis dans la foulée, elle participa aux côtés d'Eric Taylor, à l'élaboration de l'un des épisodes de la série Crime Doctor créé par Max Marcin; cet épisode réalisé pour la firme Columbia s'intitule Crime doctor's Manhunt et fut tourné par William Castle, en 1946.
Mais il restait à Leigh Brackett à prendre un véritable départ et curieusement ce fut le metteur en scène Howard Hawks qui le lui offrit. A l'époque les scénaristes Hollywoodiens travaillaient comme de véritables salariés avec des heures fixes et des bureaux étaient mis à leur disposi- tion avec obligation de présence. De grands écrivains comme Chandler, Hammett ou Faulkner pour ne citer qu'eux, eurent bien du mal à s'acclimater à ce système draconien. Faulkner par exemple, qui écrivit en 1912 aux frères Warner parce qu'il devait d'importantes sommes d'argent à son épicier et qui leur demanda de l'engager en tant co-scénariste, obtenant ainsi un contrat de sept ans, ne put jamais se plier à la dure discipline Hollywoodienne, tant son esprit d'indépendance et son inspiration l'éloignaient d'un tel système.
Hawks envisageait déjà d'adapter à l'écran le roman de Raymond Chandler, The Big Sleep (Le Grand Sommeil). Il sentait qu'il était nécessaire d'avoir une équipe de scénaristes assez complète. Ayant lu No good from a corpse, il demanda à Hugh King, l'agent de Leigh de lui présenter l'auteur du roman car il avait compris qu'il était nécessaire pour rédiger des dialogues suffisamment vivants, d'avoir quelqu'un de capable afin d'aider Faulkner. Leigh connaissait très bien l'œuvre de Chandler et fut enchantée de se voir engagée aux côtés de Faulkner pour rédiger le scénario du roman. En fait, sa collaboration et son amour-propre reçurent un coup terrible. Faulkner lui confia un chapitre sur deux et disparut ne lui adressant plus la parole que pour la saluer poliment lorsqu'il venait au bureau!
Chandler, dont elle fit la connaissance à l'époque. Ia félicita pour son travail ; quant à Humphrey Bogart, entre deux prises de vues, il lui demanda qui avait écrit tous ces verbes au subjonctif qui le gênaient si fort dans certains dialogues. Leigh répondit que ce n'était pas elle, sans plus, Par la suite, Hawks engagea Jules Furthmann, scénariste chevronné, pour mettre au point la version définitive du scénario car en cours de route, il arrivait au grand metteur en scène de faire refaire certaines scènes suivant ses propres indications. On sait à présent le succès qu'obtint le film.
Mais comme son travail pour Hollywood sur Le grand sommeil l'accaparait trop, Leigh confia alors à Ray Bradbury un court roman qu'elle écrivait et qui mettait en scène un aventurier terrien sur la planète Vénus, un certain Hugh Stark, premier avatar de son futur héros préféré, Eric John Stark ; Lorelei of the Red Mist (Lorelei de la brume rouge, Temps Futurs, 1982) fut donc achevée superbement par Ray Bradbury. Ce dernier d'ailleurs reconnaît très aisément la précieuse aide que lui apporta Leigh Brackett de 1942 à 1945, alors qu'il rédigeait bon nombre des histoires qu'il devait réunir en 1950 dans ses Chroniques Martiennes. Lorelei est l'une des rares collaborations de Leigh. Cette longue nouvelle parut dans le numéro d'été de Planet Stories et ce fut d'ailleurs la seule nouvelle importante qu'elle signa en 1946. L'année précédente, il en avait été de même, mais le récit fourni à l'époque, au printemps, toujours au même magazine, s'intitulait The vanishing Venusians. Il avait pour cadre la planète Vénus et relatait une des phases de la colonisation de ce monde ainsi que la fin de deux races de vénusiens aux terribles pouvoirs.
Il faudra attendre 1948, et le numéro d'octobre de Thrilling Wonder Stories pour voir réapparaître enfin la signature de Leigh Brackett dans un magazine. C'est encore une histoire du cycle Vénusien qu'elle avait choisi d'illustrer: The Moon that Vanished (La Lune disparue - Temps Futurs, 1982) est une superbe nouvelle se déroulant sur la mer vénusienne et relatant une poursuite et une quête. David Heath, un terrien, part en compagnie de deux vénusiens, une prêtresse évadée des Jardins du Temple, Allore, et son amant, un porteur (le lance, Broca. à la recherche du feu lunaire. lleath est le seul être humain d avoir approché le feu et à en être revenu. Les trois fuyards sont poursuivis par Johor, un capitaine commerçant et les prêtres des Enfants de la Lune. C'est que le feu lunaire est susceptible de donner la puissance et l'immortalité dit-on et ceux qui le détiendraient seraient ainsi les égaux des Dieux.
Le numéro d'hiver de Planet Stories avait marqué le retour de Leigh sur son monde favori, la planète Mars, avec The beast-jewel of Mars (1948). traduit en français dans Le Livre de Mars sous le titre, Le Jardin du Shanga ou encore chez J'ai Lu, in Les meilleurs récits de Planet Stories (n° 617) sous un autre titre, Bestiaire Martien. Le héros de cette histoire, Burk Winters, affronte les martiens de Valkis, adorateurs du Shanga, un rayon qui permet, en même temps qu'il provoque une sorte de régression physique, d'obtenir une certaine libération des inhibitions de l'individu. Comme une drogue, le Shanga provoque aussi une accoutumance et Burk Winters qui recherche celle qu'il aime, devra, pour la sauver, détruire le rayon et ses adorateurs.
L'année suivante, 1949, devait être une année presque tout entiére vouée à la planète rouge, car deux sur trois des romans qui furent produits par l'auteur avaient pour cadre ce monde mourant.
Une courte nouvelle, Quest of the Starhope (Thrilling Wonder Stories, avril 1949), met en présence les descendants de l'ancienne race martienne, le Peuple du ciel, qui a perdu ses pouvoirs, et un aventurier assez peu scrupuleux, Bert Quintal, qui détient en otage un petit vénusien télépathe appelé Butch. Quintal découvre au coeur de leur ville, une fonderie abandonnée et un métal anti-pesanteur dont il suppute immédiatement toute l'utilité. Mais sa rapacité et sa cupidité, ainsi que son manque de générosité vont le conduire à sa perte et ses victimes vont retrouver leur liberté après un long combat. A noter que le héros humain est pour la première fois plus tourné vers le mal que ses adversaires, et que Leigh ne le lui pardonne pas!

 

A bien l'examiner, l'oeuvre de Leigh Brackett s'étend dans trois directions : la Science-Fiction, le Policier et le Western. Ces trois genres seront abordés au niveau de la littérature et du cinéma dans une sorte d'échange perpétuel entre eue. Le paradoxe résidant d'ailleurs dans le fait que le genre ou elle aimait le plus écrire, la SF, ne fut abordé par elle au cinéma qu'au dernier instant de sa carrière, à la fin de sa vie, lorsqu'elle écrivit le premier jet du scénario du second film de la série Star Wars pour George Lucas!
La vie de Leigh Brackett fut donc pleine d'enseignement et d'enrichissement perpétuels, l'expérience littéraire permettant le développement de l'activité cinématographique et son talent de scénariste - on l'a vu dans le film d'Altman, Le Privé, adaptation de la meilleure oeuvre de Chandler, The long Goodbye (1973) --- lui permettant d'aborder des oeuvres ambitieuses au niveau littéraire SF.
Après l'année 1946, 1949 allait apporter à Leigh la consécration dont elle avait besoin au niveau SF. Cette année là, Matt Carse et Éric John Stark naquirent effectivement presque simultanément: Sea-Kings of Mars parut en juin dans Thrilling Wonder Stories et Queen of the Martian Catacombs (Le secret de Sinharat -- J'ai Lu n° 734, 1977) parut dans le numéro d'été de Planet Stories.
Mais il faut aussi le souligner, en 1944, Leigh avait déjà donné un premier roman martien au magazine Startling Stories, Shadow over Mars, publié en paperback en 1961, chez Ace Books sous le titre, The Nemesis from Terra. Ce roman retraçait une révolte martienne sur le très beau slogan, le vent se lève contre la tyrannie que fait régner une puissante Compagnie minière dans la ville de Ruh, révolte qui éclate lorsqu'une prophétie informe le roi et les seigneurs martiens qu'un terrien va régner sur la planète. On retrouve dans ce premier roman, le peuple des hommes volants de Caer Hebra et celui des Penseurs des Cités Polaires. Brackett y déploie déjà tout son art de l'épique.
Incontestablement, cependant, c'est dans Sea-Kings of Mars qu'elle va réaliser pleinement la synthèse de l'univers Martien qu'elle avait brossé, touche après touche, dans ses précédentes histoires.
La Porte sur l'Infini reprend le thème traditionnel de l'aventurier terrien, Matthew Carse, à la recherche d'un trésor martien et qui, découvrant l'épée et la tombe d'un dieu martien, Rhiannon le Maudit, se trouve projeté dans un lointain passé de la planète Mars, du temps de sa splendeur, alors que ses mers n'étaient pas asséchées et qu'on ne l'appelait pas encore la planète rouge.
La Mars antique est partagée entre Humains et Hybrides. " Chez les humains, les plus grands étaient les Quiru qui sont, partis... mais il y avait aussi les Hybrides... Ce sont les Nageurs, nés des créatures marines; le Peuple du Ciel, qui vient des choses ailées : puis les Dhuviens, descendants du Serpent..."
Ces derniers, dans le passé, ont convaincu Rhiannon des Quiru de leur révéler une partie du savoir de sa race. Grâce à cette traîtrise, ils ont acquis une position dominante dans leur forteresse de Caer Dhu dont ils ont fait une ville imprenable. Les Quiru, de leur côté, se sont réfugiés nu fond de l'espace pour une raison mystérieuse et avant de s'en aller, ils ont enfermé Rhiannon dans une tombe secrète, pour le punir de les avoir défiés en faveur des Dhuviens. Mais cela c'est ce que conte peut-être la légende.
Parmi les races humaines, le peuple de Sark, redouté et détesté, s'est fait l'allié des Dhuviens. Le roi Garach et sa fille, la belle Ywain, ne sont, en fait, que des jouets entre les mains du Peuple des Serpents.
Matt Carse est rapidement fait prisonnier dès sa sortie de la tombe de Rhiannon par les soldats de Sark et il devient galérien à bord du navire qui transporte la belle Ywain. C'est là qu'il fait connaissance des sinistres alliés de Sark : il tue un des conseillers de la princesse et en même temps maîtrise celle-ci et s'empare du navire. Une force inconnue semble le posséder depuis qu'il a traversé le temps pour. rejoindre la Mars du passé et qu'il a trouvé l'épée de Rhiannon.
A Khondor, sur laquelle règnent les Rois de la Nier, nid d'aigles au coeur de gigantesques falaises, Matt Carse doit non seulement affronter ses propres amis et les convaincre de le suivre pour détruire Caer Dhu, mais encore, il doit faire face aux accusations de la voyante £mer qui déclare qu'il n'est autre que Rhiannon, le Maudit. Soumis à l'examen des Sages, des Hybrides dotés de pouvoirs extrasensoriels, Carse. est sommé de parler. Une ombre noire s'étend en lui et une voix admet que le terrien est possédé par le Maudit. Le dieu Quiru prenant alors possession de Carse révèle qu'il veut réellement détruire le Serpent qui l'a trompé et qu'il reconnaît ses torts. Carse est libéré de l'enchantement d'Emer et déclare qu'il va remettre les armes de Rhiannon aux Khondoriens et il leur dévoile l'endroit où se trouve le tombeau. Mais Raid, un des Rois de la Mer, qui allait les chercher, est capturé par les soldats de Sark.
Carse s'enfuit alors de Khondor, en compagnie de Boghaz, un voleur de Valkis, et d'Ywain. Il fonce vers Sark avec l'équipage du bateau dont il s'était emparé en simulant l'attitude du Dieu Quiru. Tout le monde le redoute alors, car on le sait possédé par le Maudit. Ywain, ellemême, presque convaincue, lui avoue qu'elle déteste ses élèves rampants de Caer Dhu. Le vaisseau parvient à Sark et Ywain conduit Carse jusqu'au roi Garach, son père, qui se trouve alors en compagnie d'un émissaire de Caer Dhu, Lord Hishah.
Carse/Rhiannon apprend à ce moment-là que ses armes ont été transportées à Caer Dhu et que le Serpent a vraiment l'esprit de conquête. Il demande en vain qu'on lui ramène ses armes. Hishah lui déclare qu'il est nécessaire qu'il se rende à Caer Dhu lui-même car personne n'ose plus les toucher. Le terrien se trahit en cours de route, devant une barrière d'énergie et Hishah qui ne croit plus qu'il est Rhiannon le défie en se moquant ainsi que tout son peuple, de s'emparer de ses armes.
Rhiannon finit cependant par se manifester et, s'emparant de l'une de ses aimes, détruit les Serpents de Caer Dhu.
Dès lors la paix revient sur Mars. Rhiannon propose à Carse et à Ywain de retourner vers la Mars du futur d'ou vient le terrien. Rhiannon appelle les siens et se voit pardonné. Carse et Ywain sont transportés dans le futur ainsi que l'épée de Rhiannon, présent du Quiru.

La Porte vers l'Infini marque un sommet dans l'oeuvre écrite de Leigh Brackett. Lorsque ce roman parut en 1957 au Fleuve Noir, il occupa une place considérable au sein de cette collection et enflamma bien des imaginations. C'est que Brackett atteint avec ce roman un subtil équilibre entre toutes les composantes de ses idées et de son style. Car ce roman, somme toute assez manichéen, flamboie sous la poésie et la vision épique de l'auteur. Le thème de la chute et du rachat d'un homme-dieu égaré, Rhiannon des Quiru, qui voulut donner la connaissance à ceux qu'il avait choisis et qui le trompèrent, est développé superbement tout. au long du roman. Les lecteurs américains accueillirent avec passion Sea-Kings of Mars comme la meilleure oeuvre de celle qu'ils appelaient avec sympathie, La Brackett. Certains firent remarquer cependant que l'auteur était passé largement par-dessus un fameux paradoxe temporel puisque Carse ne pouvait plus trouver dans le passé à son point de départ ni l'épée ni Rhiannon dans sa tombe. Ils oubliaient cependant que la magie ou la Science des Quiru était celle de quasi-divinités et que le paradoxe pouvait être violé en toute quiétude en faveur d'un écrivain aussi puissant que Leigh Brackett.  

 la suite... (bientôt)

© Charles Moreau, Fantastik n° 12, 1982
Article scané grâçe à Laurent de SFMarseille
couvertures des pulps grâçe à la complicité bienveillante de Jacques Hamon Collectors Showcase


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