Impact n°29, octobre 1990

La face  cachée de MARS

Les fameux mutants de Mars sortis des ateliers de Rob Bottin. Directement contacté par Paul Verhoeven pour qui il avait déjà mis au point la cuirasse de RoboCop, Rob Bottin façonne ses "monstres" d'après ses propres cauchemars et le souvenir de vieilles bandes dessinées datant de son enfance. Au départ, le scénario prévoyait une civilisation entière de mutants vivant dans l'enceinte de Venus Ville. Cela aurait demandé des centaines de maquillages qui aurait considérablement enflé le budget. Rob Bottin a ici tenu à créer des monstres crédibles, réalistes dans une certaine mesure, plus choquants au fur et à mesure que la caméra de Paul Verhoeven les découvre.
Il était initialement prévu que la mère et la fille, toutes deux douées de pouvoirs psychiques incroyables, soient vues de profil. Rien d'anormal dans leur visage a priori.
Puis Arnold Schwarzeneger devait s'approcher et constater les dégâts opérés par les radiations solaires. Delà employé au début des années soixante dans le mythique Voyeur de Michael Powell, ce "truc" aurait dans Total Recall demandé des maquillages nettement plus complexes, donc plus coûteux et nécessitant un surplus de temps. En éliminant cette possibilité , Rob Bottin a permis à la production d'économiser quelques milliers de dollars. Le rôle de Rob Bottin ne se limite nullement dans Total Recall à la simple application de quelques prothèses de latex ; maquilleur génial de Hurlements et de Legend intervient directement dans les décisions artistiques ou même narratives. Le scénario de Dan O'Bannon et Ronald Shusett décrivait d'abord un Kuato de la taille d'une balle de golf qui aurait poussé sur la tête de George, son porteur. Rendu dingue à l'idée d'élaborer un effet idiot à ce point, Rob Bottin passe alors des heures à repérer l'endroit du corps où le mutant-bébé serait le mieux lace. Une réplique exacte du corps de Facteur donnait la po ssibilité à seize opérateurs de manipuler les mains et les bras. Les mouvements des lèvres se devaient de correspondre précisément au dialogue. Rob Bottin affirme avoir voulu donné une " grandiloquence toute shakespearienne " à Kuato, l'effet spécial le plus surprenant de Total Recall.

Les Martiens ne sont pas verts.

La grosse enveloppe accordée aux effets spéciaux apporte des certitudes. Les Martiens sont plutôt blancs de peau, une peau salement amochée par les radiations solaires.

Les dégâts infligés à la planète Mars sont aussi graves. Un bataillon de spécialistes mené par Rob Bottin et Dream Quest Images créent de A à Z cette colonie terrienne.

 
Seuls les studios de Churubusco près de Mexico permettent la construction de plateaux comportant des fonds bleus de ces dimensions.L'emploi du fond bleu est primordial dans Total Recall. Toutes les incrustations des paysages martiens, des peintures sur verre, sont le fruit des gigantesques toiles montées par les techniciens de Dream Quest Images, société dirigée par Eric Brevig. Le fond bleu est néanmoins source de problèmes a priori insurmontables ; le moindre reflet, y compris dans les cheveux, peut révéler la supercherie de l'effet spécial. A l'écran, un trou se creuse alors dans l'objet, lequel peut devenir ainsi complètement invisible. La couleur rouge est le fruit de longues recherches menées par Eric Brevig et aussi un compromis entre la réalité scientifique et des besoins plus esthétiques. Des caméras d'une haute précision, dont les déplacements étaient enregistrés par une mémoire informatique, permettaient une parfaite interactivité entre personnages, décors, miniatures, et peintures sur verre.


 Le Poids du Bottin
Rob Bottin en plein travail de maquillage

Total Recall est-il un film à effets spéciaux ? Paul Verhoeven s'en défend, Arnold Schwarzenegger s'en défend... Et pourtant Total Recall regorge d'effets de la première à la dernière image. De l'immense écran vidéo de l'appartement du héros à l'horizon martien passant du rouge pourpre au bleu Caraïbes, le film accumule une quantité impressionnante de peintures sur verre, de maquillages monstrueux, d'effets calculés par ordinateur, d'explosions à grande échelle, de décors volant en éclats... Il est rare qu'un plan ne comporte pas un trucage. Mais Paul Verhoeven sait magnifiquement intégrer la performance technique à une histoire sans jamais tomber dans le démonstratif, dans les excès complaisants où maquilleurs et spécialistes des modèles réduits braillent leur nompar images interposées. Les effets spéciaux de Total Recall doivent leur efficacité à la modestie de leur responsable, Rob Bottin.
Le maquilleur le plus en vu d'Hollywood n'est plus un simple employé à qui le metteur en scène dicte ses dix volontés. Engager Rob Bottin, c'est aussi se risquer à des critiques sur des pans entiers du scénario.Sur Total Recall, il ne s'est vraiment pas gêné. L'épisode d'Arnold passant la douane martienne caché dans une carcasse de grosse mégère, Johnny Taxi, l'apparition du meneur de la rébellion, Kuato, contre le dictateur Cohaagen, le faux bras de Benny... Rob Bottin apporte sa marque, sa signature aux épisodes les plus marquante du film. Que l'on aime ou pas le film, son travail paraît inestimable. Inestimable même lorsqu'il s'agit de grimer le plus simplement du monde une jolie femme de façon à en faire un monstre. Facile aussi de falsifier une gamine toute mignonne en lui prêtant un oeil aussi coulant qu'un oeuf poché... Mais aux effets les plus évidents, aux prothèses de latex mille fois vues, Rob Bottin impose une originalité permanente. De la mégère dont le visage se fend en lamelles pour dévoiler son "locataire" à ce bébé monstrueux et suprêmement intelligent qu'est Kuato, Rob Bottin pèse lourd dans Total Recall. Lorsqu'il cède à la pression du gore, c'est aussi pour se permettre des effets spéciaux directement influencés par le dessin animé. Des yeux sortant de leurs orbites comme s'ils étaient montés sur ressort, une gueule bouffie, une langue énorme... On se croirait face à Woopy, le loup dragueur d'une multitude de Tex Avery.
Si les maquillages virtuoses orchestrés par Rob Bottin font merveille, les effets spéciaux visuels souffrent parfois de quelques carences, l'aspect maquette étant immédiatement perceptible, lors, surtout du plan foireux d'un vaisseau virevoltant dans l'espace. Des détails en comparaison de la réussite des trucs facétieux mis au point par Rob Bottin et son staff. Soucieux d'élargir son registre et de quitter la science-fiction, le gore et même le fantastique, ce dernier prépare actuellement les effets spéciaux du Festin Nu de David Cronenberg.

© Marc TOULLEC, Impact n°29,octobre 1990

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