La question se pose. Total Recall est-il à la hauteur des folles espérances de ses auteurs ? A la hauteur de la démence visuelle, de l'humour vicelard et de la hargne destroy d'un Paul Verhoeven qu'on imagine filmant ad vitam éternam la carcasse du premier RoboCop ? A la hauteur des ambitions d'Arnold, soucieux de se métamorphoser en comédien complet ? A la hauteur d'un budget incroyable qui a permis la construction d'un petit morceau de la planète Mars au Mexique ? Des questions, il y en a des dizaines concernant Total Recall, convergeant toutes vers les promesses lancées depuis maintenant plus de deux ans... De la terre à Mars, il n'y a qu'un vol régulier par navette spatiale. Pas compliqué. Suffit de réserver sa place. C'est ainsi que le prolo Doug Quaid s'embarque pour la grande aventure. Miné par des souvenirs nébuleux et des réflexes violents face à des agresseurs mystérieux, ce dernier se doit de faire le point sur lui-même, de savoir qui donc peut avoir intérêt à le tuer. Le dictateur de Mars en personne évidemment, Cohaagen, un capitaliste fier d'adopter un principe vieux comme le monde, " Prends l'oseille et tire-toi ". Cohaagen tente de mater par la force la rébellion ouvrière. Il y réussirait bien si Doug Quaid n'apportait son grain de sel. A moins que Doug Quaid soit son agent secret, une taupe ignorant son statut d'espion. Cela manipule sec dans Total Recall. Quaid n'existe pas ; il est un simulacre, une simple mémoire informatique  greffée dans un coin de cerveau. Sa douce et blonde épouse joue elle aussi le jeu des apparences. Dévouée et frêle, elle se transforme en un éclair en une combattante redoutable, envoyant des revers du pied dans les parties délicates de l'individu. Il y a aussi Benny, le chauffeur de taxi, à priori un comparse sympathique se devant de nourrir une famille très nombreuse coûte que coûte...Paul Verhoeven ne cesse de brouiller les pistes. Jusqu'au dernier instant, impossible de savoir si les miroirs ne font pas encore face à d'autres miroirs ! On peut ne pas vraiment rentrer dans le jeu de Paul Verhoeven, dans cette sombre histoire d'identités falsifiées, de mémoires préfabriquées prêtes à être consommées. Paul Verhoeven se montre prudent, ne pousse que rarement son audience au bord du gouffre, un gouffre dans lequel on aimerait tomber. Question action, le cinéaste manifeste des ambitions homériques. Et les tient. Le moindre impact de balles explose littéralement les corps, Arnold se sert d'un pauvre usager d'un escalator comme bouclier de chair, les cadavres pleuvent comme dans le plus sanglant des thrillers made in Hongkong... Rien que des affrontements titanesques où la mesure n'a aucun prise, aucun sens. Idem pour les effets spéciaux, les maquillages délirants de Rob Bottin, les décors reconstitués avec un sens maniaque du détail. On peut même apercevoir une édition de "Mars Today", le canard local ! L'ensemble ne fait pas un grand film, une pointure du niveau de Blade Runner, niais un divertissement luxueux, rapide, dans lequel les dollars permettent des délires exclusivement réservés à la bande dessinée jusqu'ici. Paul Verhoeven s'en tire intact, avec toute son intégrité. Arnold gravit un échelon supplémentaire dans sa volonté de devenir un comédien. Rob Bottin s'est permis des trucs déments dont l'avaient frustrés tous les producteurs des années durant... Bilan globalement positif. Une chose est néanmoins sûre : avec le temps, Total Recall risque de se bonifier, d'être réestimer la tête froide par ceux qui en attendaient autre chose. Mais cette cuvée martienne ne brûle jamais le palais.

Tous droits reservés ©Cyrille GIRAUD, Impact n°29 octobre 1990

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Mars & SF © Jacques Garin 1998-2011