C'est en 1975 que
vint au scénariste Ron Shusett l'idée d'adapter la nouvelle de Philip
K. Dick "We Can Remember It For You Wholesale". Il en
tira un premier développement et, démarche classique, se mit en
quête d'une production intéressée. Mais La guerre des étoiles n'avait
pas encore conquis les écrans et les producteurs, prudents, déclinèrent
cette histoire qu'ils estimaient a la fois hors normes et trop onéreuse
a concrétiser. Puis ce fut le succès rencontré par Alien (dont
Shusett écrivit le scénario en compagnie de Dan O'Bannon). Tout
naturellement, fort de cet acquis, Shusett revînt a la charge avec
une nouvelle adaptation. Il intéresse alors Thomas Whilhite, chez
Walt Disney, qui le charge de développer le projet. Pendant prés
d'une décade, Shusett tente de faire prendre formé a ce voyage imaginaire
sur Mars. Plusieurs réalisateurs de premier plan sont successivement
envisagés : Fred Schepisi, Richard Rush, Russel Mulcahy, David Cronenberg.
Cronenberg travaille même un temps sur une pré-production... en
Italie et avec Richard Dreyfus prévu en tête d'affiche. Nous sommes
en 1984. Puis successivement, M.G.C., Universal et Embassy s'intéressent
un temps a ce projet ambitieux qui finit par échouer chez Dino de
Laurentiis. Au fil des années, le budget gonfle. Un temps, il est
question que le film soit tourné en Australie. Mais la partielle
déconfiture du magnat italien aux U.S.A.. fait que l'entreprise
piétine...
Entre
temps, le script avait été soumis a Arnold Schwarzenegger tandis
qu'il tournait Commando. Profitant ses rares instants de répit,
il lit le script. Pratiquement d'un trait. L'histoire l'intéresse
et il sent la un rôle capable dé le faire évoluer et de l'éloigner
du club des gros bras. On connaît l'acharnement de l'Autrichien
lorsqu'il s'est mis quelque chose en tète. Conscient que l'affaire
est jouable et qu'elle marque le pas uniquement pour d'obscures
histoires de production, il en parle a Andrew Vajna, un des fondateurs
de Carolco, la compagnie qui a actuellement le vent en poupe. Pour
quelques millions de dollars le script aboutit donc dans l'escarcelle
de Carolco. Dès lors, les choses vont vite. Impressionné par le
travail accompli sur Robocop, Schwarzenegger prononce le nom de
Paul Verhoeven... Celui-ci envisage d'abord la ville de Houston
comme lieu de tournage. Raison a cela : les nombreuses façades de
glace et armatures d'acier des immeubles pouvant suggérer un monde
a la fois futuriste et deshumanisé. Finalement, ce sera Mexico et
ses studios géants de Churubusco, en banlieue. A l'origine, le
budget, énorme, devait être d'environ 50 millions de dollars; il
atteindra 60 millions (certains disent même 70) a cause de la complexité
des effets spéciaux et de leur prolongement en post-production.
Mais qu'importe pour une production qui amortira son coût en quelques
jours d'exploitation... sur le seul territoire américain ! Paul
Verhoeven, malgré ses succès hollywoodiens, n'a guère changé. Il
reste l'un des rares cinéastes encore soucieux de l'Homme, même
dans un univers d'une telle ampleur qui appelle plutôt a son écrasement. Ainsi,
"son" Robocop n'était pas qu'une machine a tuer. Derrière
l'armure, se profilait l'embryon d'un être humain avec ses angoisses,
ses peines, mais aussi sa volonté. Dans Total Recall , on assiste
a la lutte anachronique entre l'individu et un système oppressif
né des hommes mais puissamment épaulé par la science. Face a ce
phénomène, Quaid peut être considéré comme un James Bond du futur
qui aurait encore a se défaire d'un docteur No et de son repaire.
C'est comme si Verhoeven tentait d'allumer une lueur d'espoir et
surtout de révolte au sein d'un univers qui va en se déshumanisant.
Belle revanche hollywoodienne de la part de ce Hollandais qui s'obstine
a faire passer, avec persistance, son sens critique de la société.
Mais le cas de Verhoeven n'est pas unique. Son apostolat rejoint
celui de bon nombre d'écrivains de science-fiction (n'oublions pas
que Total Recall est tiré de l'oeuvre, abondante, de Philip K. Dick)
qui tentent de rassurer leur prochain (et peut-être eux-mêmes, dans
le plus profond de leur âme) sur la possibilité de l'Homme a échapper
a la tyrannie du futur et de la matière. A travers la maturité qu'il
a récemment acquise, Schwarzenegger accède au rôle suprême de sauveur
de l'humanité. Il reprend ainsi brillamment un flambeau qui échoua
si souvent a Charlton Heston. Que ce soit le dernier représentant
de la race humaine dans le Survivant , le malmené de la Planète
des singes ou le flic coriace et rebelle de Soleil vert , tous ces
personnages ont un point commun avec Quaid : ce sont les derniers
délégués d'une humanité en déroute, l'ultime rempart contre la tyrannie
légalisée du modernisme ou des bouleversements ethniques.
© Norbert MOUTIER
  Le
script final disponible sur Ebay USA.
Michel Ironside le psychopathe du septième
art
Construit comme
un James Bond futuriste, Total Recall a son méchant, son dictateur
mégalomane et sanguinaire. Ce fut une excellente idée de choisir
Michael Ironside pour l'incarner. Michael
Ironside est l'un des rares comédiens a bénéficier dé cet avantage
: avant même de jouer, il lui suffit dé paraître pour imposer sa
présence a l'écran. Révélé par David Cronenberg qui lui déformait
généreusement le faciès dans Scanners , l'acteur n'a plus guère
quitté un genre qui lui va comme un gant. Les rôles de psychopathes
s'enchaînent, un des plus marquants étant le quasi one-man show
qu'il exécute dans Terreur à l'hôpital central de Jean-Claude Lord.
L'âge venant, Ironside échappe parfois à sa triste image pour incarner
d'autres rôles non moins troubles. Ainsi, récemment, il est apparu
en flic ambigu et brutal dans un inédit vidéo : Amnesia , où, comme
à l'habitude, il domine le film grâce a sa présence. Refusant tout
maquillage sophistiqué qui aurait pu faire de lui un méchant d'opérette,
Ironside a tenu à interpréter le rôle tel quel, comptant sur la
seule puissance de son jeu pour incarner le démentiel Richter, le
tyran de Mars. A l'inverse de Quaid, sans cesse en mouvement pour
sauver sa peau et si possible celle des autres - Richter est l'homme
de l'anti-chambre et des complots. Ironside tient à le souligner
ses armes ne sont pas les muscles ou les fusils laser au canon hypertrophié
mais la désinformation permanente. Il s'est amusé du combat qui
l'oppose physiquement a Quaid, à l'issue du film. "Je ne faisais
vraiment pas le poids !" se plait-il à dire, reconnaissant
que cet affrontement était nécessaire au déroulement de l'histoire.
La force d'Ironside ne réside pu dans le muscle mais dans l'expression
d'un regard, impénétrable, cruel, dans la prépondérance d'un front
partiellement dégarni d'intellectuel calculateur autant que dans
un diabolique sourire carnassier. Michael Ironside était sana doute
l'un des seuls acteurs de sa génération capable dé figurer comme
adversaire plausible face au bulldozer autrichien.
Norbert
Moutier fait une erreur de casting, Ironside joue le rôle de Richter,
l'âme damnée de Cohaagen (Ronny Cox) le dictateur de Mars, qui veut
se venger de Hauser. Doc Mars
Les décors
La création de l'univers martien n'était certes pas chose aisée.
Comme le déclare Verhoeven lui-même, lors de fictions complètes
comme La guerre des étoiles ou Star Trek , cela pose moins de problèmes
car l'univers a édifier se situé dans un futur si lointain que toutes
les fantaisies sont possibles, lés inexactitudes saluées comme des
prouesses de l'imagination. Ici, le cas est tout autre. L'action
se situe a guère plus d'un demi-siècle. Un futur somme toute assez
proche. Néanmoins, dès le départ, Paul Verhoeven et William Sandell,
responsable des décors "martiens" s'en tenaient à cet
accord mutuel : il importait que Mars et la Terre aient un aspect
totalement différent. Partant de la structure-même de cet astre
a la superficie écailleuse, ils convinrent que l'architecture devrait
être intimement liée au rocher. Il était d'autant plus aisé d'imaginer
une population vivant en troglodytes que le scénario lui-même campait
un peuple privé d'oxygène donc vivant dans un univers artificiel
souterrain. Cet Atlantide du futur est donc sensé être construit
dans le roc, isolant son humanité du monde extérieur. Les gigantesques
studios Churubusco, dans la banlieue de Mexico, servirent a construire
cette cité factice composée par le titanesque astroport martien,
le quartier interlope de Venusville (le Pigalle ou le Soho dé Mars
!) et tout un ensemble de labyrinthes souterrains et de catacombes,
le dessous du panier dé cette architecture aussi ambitieuse qu'inhumaine. La
couleur rougeâtre des rochers synthétiques donnait en outre un aspect
surréaliste-te au décor, une impression d'aridité et de désolation
soulignant l'inhospitalité de l'astre. Ce ne sont pas moins de 350
ouvriers qui s'attelèrent à cette tâche sou les directives de Sandell,
donnant peu à peu naissance à cet univers déshumanisé que devra
vaincre Schwarzenegger. Mais les plans n'avaient pas été conçus
au hasard. Afin d'accréditer l'entreprise et conférer un look plausible
et fonctionnel a cette base martienne, l'équipe fit appel aux conseils
de la Nasa qui fut ainsi proprement "embauchée" en qualité
de consultant afin de donner son avis sur les structures possibles
d'une future colonie martienne. Cependant, si l'univers somme
toute ramassé de Venusville (l'inévitable lieu de perdition permettant
aux membres de cette colonie claquemurée d'accepter sa condition
!) fut construit, notamment en ce qui concerne lés intérieurs, à
la taille réelle, les décors extérieurs eux, furent conçus à l'échelle
réduite. Pas si réduite, cependant ! Un tel gigantisme
ayant à ce jour rarement été atteint dans le monde de la miniature
. L'une des particularités de Total Recall est le grand nombre et
l'envergure des fonds bleus. Leur dimension était telle qu'elle
permettait de multiplier les plans d'ensemble sur le même plateau.
Et ce ne furent pas moins d'une dizaine de plateaux qui se trouvèrent
ainsi réquisitionnés pour reconstituer l'univers martien, dans une
recherche permanente du mariage harmonieux entre le futurisme et
le réalisme.
 L'une
des particularités de "Total Recall" est le grand nombre
et l'envergure des fonds bleus. Leurs dimensions exceptionnelles
(121x18 mètres) permirent de multiplier les plans d'ensemble sur
le même plateau.
Les effets visuels
L' insertion des séquences réelles avec personnages inclus dans
ces décors nécessitait des effets spéciaux visuels rendus extrêmement
complexes par l'action et la mouvance permanente des interprètes.
Ces effets furent confiés à la compagnie Dream Quest Images qu'anime
Eric Brevig déjà responsable du coup de force d'Abyss . Travaillant
de concert avec l'équipe principale, Dream Quest a assumé les 22
semaines de tournage couvrant la durée de tournage du film. Le gigantisme
des décors facilita en fait l'incrustation de l'action et de ses
personnages ainsi que les moyens de raccorder cette action dans
les décors construits en studio, grandeur nature. Mais, constamment,
se posait le problème de combiner ces trois éléments s'interférant
en permanence : action réelle, maquettes et fonds bleus. Un important
travail de post-production fut donc en outre nécessaire, mobilisant
une équipe de plus de 100 personnes durant des semaines. Ce travail
se déroula aux États-Unis où les finitions sur maquettes furent
mises en place. Il s'agissait ici encore de rien qui puisse être
traité vraiment de miniature, ces maquettes de 12 à 18 mètres de
long permettant entre autres de papoter jusqu'à 180 degrés ! Enfin,
ces différentes étapes franchies, une caméra assistée par ordinateur
permit de combiner les prises de vues réelles avec ces plans de
maquettes filmées postérieurement. Le procédé consiste en une caméra
tournant à sa vitesse normale de 24 images seconde mais couplée
à un ordinateur qui conserve en mémoire tous ses mouvements pour
les inclure, a l'identique, dans d'autres décors ou maquettes, lors
de la post-production finale. Le procédé a atteint un stade de quasi
perfection et ne devrait pas manquer de bouleverser totalement les
habitudes de l'industrie cinématographique dans l'avenir.
 L'étonnant
taxi robotisé emprunté par un Schwarzenegger surexcité !
Les véhicules
Il importait de créer un ensemble de véhicules imaginaires capables
de s'insérer logiquement dans cet univers futuriste, de lui donner
vie. De la pure création,certes, mais avec toujours ce souci de
crédibilité caractérisant la ligne directrice du film. Tâche d'autant
plus difficile qu'à l'inverse des décors, ces prototypes devaient
être fonctionnels et même, pour certains, transporter des acteurs
!
Le design et la création de ces engins reviennent à Ron Cobb qui
dut également se charger de la conception des engins industriels
de forage de l'ensemble minier martien. Non seulement il fallait
voir fonctionner ces engins (ils intervenaient à titre menaçant
dans l'action) mais il importait de leur donner une certaine patine,
celle des machines fonctionnant à plein temps dans l'univers poussiéreux
du forage des roches rouges. Mais le véhicule qui tient la vedette
est l'étonnant taxi conduit par un être robotisé et qu'emprunte
Schwarzenegger. Impossible de se contenter de l'à peu près. Non
seulement le véhicule apparaissait souvent dans l'action, et en
gros plans, mais on demandait à ce taxi de l'imaginaire les mêmes
performances ou presque qu'aux voitures participant à une poursuite
automobile dans un quelconque polar. Ron Cobb, au départ, envisagea
d'utiliser la base d'un des modèles de sport de la General Motors
mais, après étude, il s'avéra que l'engin n'était pas spécialement
logeable d'une part et s'éloignait de l'aspect utilitaire recherché.
En accord avec la production. Ron Cobb se pencha donc sur de nouveaux
tracés et ils optèrent finalement pour cette sorte de cabine automatique.
entièrement reconditionnée. qui explique mieux la présence de son
étrange chauffeur. En outre. Ron Cobb est également à l'origine
du monstrueux ordinateur pourvoyeur de fantasmes vagabonds et du
fameux "Rekall Chair" précipitant les candidats dans l'imaginaire.
Enfin, c'est aussi à Ron Cobb que l'on doit les engins de forage
(dont celui, géant, utilisé par Schwarzenegger lui-même). Une flagrante
démonstration du soin technique et du souci d'authenticité qui n'ont
pas cessé, jusqu'au moindre détails, de hanter les responsables
de Total Recall.
 "Total Recall" est une réflexion sur le réel et l'irréel.
basée sur une analyse psychologique profonde et complexe Croyant assister à un thriller classique le spectateur sent soudain un abîme se creuser sous ses pas, et se demanda si ce qu'il voit
est la réalité objective ou les fantasmes d'un homme.
Les maquillages
Les maquillages et les effets animatroniques abondent dans Total
Recall. C'est un éminent spécialiste qui les a pris en charge en
la personne de Rob Bottin. déjà responsable. entre autres, des étonnantes
transformations de loup-garou de Hurlements et de l'armure futuriste
de Robocop où il oeuvra déjà pour Verhoeven. Dans le monde étrange
de Total Recall. plusieurs mutants font leur apparition. notamment
dans l'univers de Venusville (l'enfant mutant au front anormalement
bombé, la prostituée au visage à demi ravagé...).L'un des principaux
personnages, le robotchauffeur de taxi, l'apparemment inoffensif
Johnny Cab, est une des créatures dues à Rob Bottin. Sa construction
nécessita autant de difficultés que connut Schwarzenegger pour s'en
défaire. Mais. au milieu de ce troupeau d'aliens irradiés aux fossettes
géantes et atrocement prolongées jusqu'au cerveau, le clou est la
créature monstrueuse que porte, tel un kangourou, Kuato le mystérieux
chef rebelle (Le monstre dans le monstre !). Ceci représentera la
seule concession en direction d'un fantastique purement délirant
au sein d'une épopée qui se veut avant tout réaliste.
N.M.
L'interview
de Paul Verhoeven ...
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