Depuis les débuts de sa carrière cinématographique, Arnold Schwarzenegger a été confronté à toutes sortes de créatures, animales, humaines ou extra-terrestres. Pour ce film qui marque l'apogée de sa carrière, et constitue une paradoxale rencontre avec Paul Verhoeven, il convenait donc de lui trouver un adversaire à sa démesure.
C'est chose faite : Schwarzy s'est vu attribuer son plus impitoyable ennemi : lui-même ! Un monstre sacré pour un sacré film ...

Tous droits reservés © Ecran Fantastique n°117 - novembre 1990

 C'est en 1975 que vint au scénariste Ron Shusett l'idée d'adapter la nouvelle de Philip K. Dick "We Can Remember It For You Wholesale". Il en tira un premier développement et, démarche classique, se mit en quête d'une production intéressée. Mais La guerre des étoiles n'avait pas encore conquis les écrans et les producteurs, prudents, déclinèrent cette histoire qu'ils estimaient a la fois hors normes et trop onéreuse a concrétiser.
Puis ce fut le succès rencontré par Alien (dont Shusett écrivit le scénario en compagnie de Dan O'Bannon). Tout naturellement, fort de cet acquis, Shusett revînt a la charge avec une nouvelle adaptation. Il intéresse alors Thomas Whilhite, chez Walt Disney, qui le charge de développer le projet.
Pendant prés d'une décade, Shusett tente de faire prendre formé a ce voyage imaginaire sur Mars. Plusieurs réalisateurs de premier plan sont successivement envisagés : Fred Schepisi, Richard Rush, Russel Mulcahy, David Cronenberg. Cronenberg travaille même un temps sur une pré-production... en Italie et avec Richard Dreyfus prévu en tête d'affiche. Nous sommes en 1984. Puis successivement, M.G.C., Universal et Embassy s'intéressent un temps a ce projet ambitieux qui finit par échouer chez Dino de Laurentiis. Au fil des années, le budget gonfle. Un temps, il est question que le film soit tourné en Australie. Mais la partielle déconfiture du magnat italien aux U.S.A.. fait que l'entreprise piétine...
Entre temps, le script avait été soumis a Arnold Schwarzenegger tandis qu'il tournait Commando. Profitant ses rares instants de répit, il lit le script. Pratiquement d'un trait. L'histoire l'intéresse et il sent la un rôle capable dé le faire évoluer et de l'éloigner du club des gros bras.
On connaît l'acharnement de l'Autrichien lorsqu'il s'est mis quelque chose en tète. Conscient que l'affaire est jouable et qu'elle marque le pas uniquement pour d'obscures histoires de production, il en parle a Andrew Vajna, un des fondateurs de Carolco, la compagnie qui a actuellement le vent en poupe. Pour quelques millions de dollars le script aboutit donc dans l'escarcelle de Carolco. Dès lors, les choses vont vite. Impressionné par le travail accompli sur Robocop, Schwarzenegger prononce le nom de Paul Verhoeven...
Celui-ci envisage d'abord la ville de Houston comme lieu de tournage. Raison a cela : les nombreuses façades de glace et armatures d'acier des immeubles pouvant suggérer un monde a la fois futuriste et deshumanisé. Finalement, ce sera Mexico et ses studios géants de Churubusco, en banlieue.
A l'origine, le budget, énorme, devait être d'environ 50 millions de dollars; il atteindra 60 millions (certains disent même 70) a cause de la complexité des effets spéciaux et de leur prolongement en post-production. Mais qu'importe pour une production qui amortira son coût en quelques jours d'exploitation... sur le seul territoire américain ! Paul Verhoeven, malgré ses succès hollywoodiens, n'a guère changé. Il reste l'un des rares cinéastes encore soucieux de l'Homme, même dans un univers d'une telle ampleur qui appelle plutôt a son écrasement.
Ainsi, "son" Robocop n'était pas qu'une machine a tuer. Derrière l'armure, se profilait l'embryon d'un être humain avec ses angoisses, ses peines, mais aussi sa volonté. Dans Total Recall , on assiste a la lutte anachronique entre l'individu et un système oppressif né des hommes mais puissamment épaulé par la science. Face a ce phénomène, Quaid peut être considéré comme un James Bond du futur qui aurait encore a se défaire d'un docteur No et de son repaire. C'est comme si Verhoeven tentait d'allumer une lueur d'espoir et surtout de révolte au sein d'un univers qui va en se déshumanisant. Belle revanche hollywoodienne de la part de ce Hollandais qui s'obstine a faire passer, avec persistance, son sens critique de la société. Mais le cas de Verhoeven n'est pas unique. Son apostolat rejoint celui de bon nombre d'écrivains de science-fiction (n'oublions pas que Total Recall est tiré de l'oeuvre, abondante, de Philip K. Dick) qui tentent de rassurer leur prochain (et peut-être eux-mêmes, dans le plus profond de leur âme) sur la possibilité de l'Homme a échapper a la tyrannie du futur et de la matière. A travers la maturité qu'il a récemment acquise, Schwarzenegger accède au rôle suprême de sauveur de l'humanité. Il reprend ainsi brillamment un flambeau qui échoua si souvent a Charlton Heston. Que ce soit le dernier représentant de la race humaine dans le Survivant , le malmené de la Planète des singes ou le flic coriace et rebelle de Soleil vert , tous ces personnages ont un point commun avec Quaid : ce sont les derniers délégués d'une humanité en déroute, l'ultime rempart contre la tyrannie légalisée du modernisme ou des bouleversements ethniques.

© Norbert MOUTIER 


Le script final disponible sur Ebay USA.

Michel Ironside le psychopathe du septième art

Construit comme un James Bond futuriste, Total Recall a son méchant, son dictateur mégalomane et sanguinaire.
Ce fut une excellente idée de choisir Michael Ironside pour l'incarner. Michael Ironside est l'un des rares comédiens a bénéficier dé cet avantage : avant même de jouer, il lui suffit dé paraître pour imposer sa présence a l'écran. Révélé par David Cronenberg qui lui déformait généreusement le faciès dans Scanners , l'acteur n'a plus guère quitté un genre qui lui va comme un gant. Les rôles de psychopathes s'enchaînent, un des plus marquants étant le quasi one-man show qu'il exécute dans Terreur à l'hôpital central de Jean-Claude Lord. L'âge venant, Ironside échappe parfois à sa triste image pour incarner d'autres rôles non moins troubles. Ainsi, récemment, il est apparu en flic ambigu et brutal dans un inédit vidéo : Amnesia , où, comme à l'habitude, il domine le film grâce a sa présence. Refusant tout maquillage sophistiqué qui aurait pu faire de lui un méchant d'opérette, Ironside a tenu à interpréter le rôle tel quel, comptant sur la seule puissance de son jeu pour incarner le démentiel Richter, le tyran de Mars. A l'inverse de Quaid, sans cesse en mouvement pour sauver sa peau et si possible celle des autres - Richter est l'homme de l'anti-chambre et des complots. Ironside tient à le souligner ses armes ne sont pas les muscles ou les fusils laser au canon hypertrophié mais la désinformation permanente. Il s'est amusé du combat qui l'oppose physiquement a Quaid, à l'issue du film. "Je ne faisais vraiment pas le poids !" se plait-il à dire, reconnaissant que cet affrontement était nécessaire au déroulement de l'histoire. La force d'Ironside ne réside pu dans le muscle mais dans l'expression d'un regard, impénétrable, cruel, dans la prépondérance d'un front partiellement dégarni d'intellectuel calculateur autant que dans un diabolique sourire carnassier. Michael Ironside était sana doute l'un des seuls acteurs de sa génération capable dé figurer comme adversaire plausible face au bulldozer autrichien.

Norbert Moutier fait une erreur de casting, Ironside joue le rôle de Richter, l'âme damnée de Cohaagen (Ronny Cox) le dictateur de Mars, qui veut se venger de Hauser.
Doc Mars

Les décors

La création de l'univers martien n'était certes pas chose aisée. Comme le déclare Verhoeven lui-même, lors de fictions complètes comme La guerre des étoiles ou Star Trek , cela pose moins de problèmes car l'univers a édifier se situé dans un futur si lointain que toutes les fantaisies sont possibles, lés inexactitudes saluées comme des prouesses de l'imagination.
Ici, le cas est tout autre. L'action se situe a guère plus d'un demi-siècle. Un futur somme toute assez proche. Néanmoins, dès le départ, Paul Verhoeven et William Sandell, responsable des décors "martiens" s'en tenaient à cet accord mutuel : il importait que Mars et la Terre aient un aspect totalement différent.
Partant de la structure-même de cet astre a la superficie écailleuse, ils convinrent que l'architecture devrait être intimement liée au rocher. Il était d'autant plus aisé d'imaginer une population vivant en troglodytes que le scénario lui-même campait un peuple privé d'oxygène donc vivant dans un univers artificiel souterrain.
Cet Atlantide du futur est donc sensé être construit dans le roc, isolant son humanité du monde extérieur. Les gigantesques studios Churubusco, dans la banlieue de Mexico, servirent a construire cette cité factice composée par le titanesque astroport martien, le quartier interlope de Venusville (le Pigalle ou le Soho dé Mars !) et tout un ensemble de labyrinthes souterrains et de catacombes, le dessous du panier dé cette architecture aussi ambitieuse qu'inhumaine.
La couleur rougeâtre des rochers synthétiques donnait en outre un aspect surréaliste-te au décor, une impression d'aridité et de désolation soulignant l'inhospitalité de l'astre. Ce ne sont pas moins de 350 ouvriers qui s'attelèrent à cette tâche sou les directives de Sandell, donnant peu à peu naissance à cet univers déshumanisé que devra vaincre Schwarzenegger. Mais les plans n'avaient pas été conçus au hasard. Afin d'accréditer l'entreprise et conférer un look plausible et fonctionnel a cette base martienne, l'équipe fit appel aux conseils de la Nasa qui fut ainsi proprement "embauchée" en qualité de consultant afin de donner son avis sur les structures possibles d'une future colonie martienne.
Cependant, si l'univers somme toute ramassé de Venusville (l'inévitable lieu de perdition permettant aux membres de cette colonie claquemurée d'accepter sa condition !) fut construit, notamment en ce qui concerne lés intérieurs, à la taille réelle, les décors extérieurs eux, furent conçus à l'échelle réduite.
Pas si réduite, cependant ! Un  tel gigantisme ayant à ce jour rarement été atteint dans le monde de la miniature . L'une des particularités de Total Recall est le grand nombre et l'envergure des fonds bleus. Leur dimension était telle qu'elle permettait de multiplier les plans d'ensemble sur le même plateau. Et ce ne furent pas moins d'une dizaine de plateaux qui se trouvèrent ainsi réquisitionnés pour reconstituer l'univers martien, dans une recherche permanente du mariage harmonieux entre le futurisme et le réalisme.


 
 L'une des particularités de "Total Recall" est le grand nombre et l'envergure des fonds bleus. Leurs dimensions exceptionnelles (121x18 mètres) permirent de multiplier les plans d'ensemble sur le même plateau.

Les effets visuels

L' insertion des séquences réelles avec personnages inclus dans ces décors nécessitait des effets spéciaux visuels rendus extrêmement complexes par l'action et la mouvance permanente des interprètes. Ces effets furent confiés à la compagnie Dream Quest Images qu'anime Eric Brevig déjà responsable du coup de force d'Abyss . Travaillant de concert avec l'équipe principale, Dream Quest a assumé les 22 semaines de tournage couvrant la durée de tournage du film. Le gigantisme des décors facilita en fait l'incrustation de l'action et de ses personnages ainsi que les moyens de raccorder cette action dans les décors construits en studio, grandeur nature. Mais, constamment, se posait le problème de combiner ces trois éléments s'interférant en permanence : action réelle, maquettes et fonds bleus. Un important travail de post-production fut donc en outre nécessaire, mobilisant une équipe de plus de 100 personnes durant des semaines. Ce travail se déroula aux États-Unis où les finitions sur maquettes furent mises en place. Il s'agissait ici encore de rien qui puisse être traité vraiment de miniature, ces maquettes de 12 à 18 mètres de long permettant entre autres de papoter jusqu'à 180 degrés !
Enfin, ces différentes étapes franchies, une caméra assistée par ordinateur permit de combiner les prises de vues réelles avec ces plans de maquettes filmées postérieurement. Le procédé consiste en une caméra tournant à sa vitesse normale de 24 images seconde mais couplée à un ordinateur qui conserve en mémoire tous ses mouvements pour les inclure, a l'identique, dans d'autres décors ou maquettes, lors de la post-production finale. Le procédé a atteint un stade de quasi perfection et ne devrait pas manquer de bouleverser totalement les habitudes de l'industrie cinématographique dans l'avenir.


L'étonnant taxi robotisé emprunté par un Schwarzenegger surexcité !

Les véhicules

Il importait de créer un ensemble de véhicules imaginaires capables de s'insérer logiquement dans cet univers futuriste, de lui donner vie. De la pure création,certes, mais avec toujours ce souci de crédibilité caractérisant la ligne directrice du film. Tâche d'autant plus difficile qu'à l'inverse des décors, ces prototypes devaient être fonctionnels et même, pour certains, transporter des acteurs !
Ron CobbLe design et la création de ces engins reviennent à Ron Cobb qui dut également se charger de la conception des engins industriels de forage de l'ensemble minier martien. Non seulement il fallait voir fonctionner ces engins (ils intervenaient à titre menaçant dans l'action) mais il importait de leur donner une certaine patine, celle des machines fonctionnant à plein temps dans l'univers poussiéreux du forage des roches rouges. Mais le véhicule qui tient la vedette est l'étonnant taxi conduit par un être robotisé et qu'emprunte Schwarzenegger. Impossible de se contenter de l'à peu près. Non seulement le véhicule apparaissait souvent dans l'action, et en gros plans, mais on demandait à ce taxi de l'imaginaire les mêmes performances ou presque qu'aux voitures participant à une poursuite automobile dans un quelconque polar. Ron Cobb, au départ, envisagea d'utiliser la base d'un des modèles de sport de la General Motors mais, après étude, il s'avéra que l'engin n'était pas spécialement logeable d'une part et s'éloignait de l'aspect utilitaire recherché. En accord avec la production. Ron Cobb se pencha donc sur de nouveaux tracés et ils optèrent finalement pour cette sorte de cabine automatique. entièrement reconditionnée. qui explique mieux la présence de son étrange chauffeur.
En outre. Ron Cobb est également à l'origine du monstrueux ordinateur pourvoyeur de fantasmes vagabonds et du fameux "Rekall Chair" précipitant les candidats dans l'imaginaire. Enfin, c'est aussi à Ron Cobb que l'on doit les engins de forage (dont celui, géant, utilisé par Schwarzenegger lui-même). Une flagrante démonstration du soin technique et du souci d'authenticité qui n'ont pas cessé, jusqu'au moindre détails, de hanter les responsables de Total Recall.


"Total Recall" est une réflexion sur le réel et l'irréel. basée sur une analyse psychologique profonde et complexe Croyant assister à un thriller classique le spectateur sent soudain un abîme se creuser sous ses pas, et se demanda si ce qu'il voit est la réalité objective ou les fantasmes d'un homme. 

Les maquillages

Les maquillages et les effets animatroniques abondent dans Total Recall. C'est un éminent spécialiste qui les a pris en charge en la personne de Rob Bottin. déjà responsable. entre autres, des étonnantes transformations de loup-garou de Hurlements et de l'armure futuriste de Robocop où il oeuvra déjà pour Verhoeven.
Dans le monde étrange de Total Recall. plusieurs mutants font leur apparition. notamment dans l'univers de Venusville (l'enfant mutant au front anormalement bombé, la prostituée au visage à demi ravagé...).L'un des principaux personnages, le robotchauffeur de taxi, l'apparemment inoffensif Johnny Cab, est une des créatures dues à Rob Bottin. Sa construction nécessita autant de difficultés que connut Schwarzenegger pour s'en défaire. Mais. au milieu de ce troupeau d'aliens irradiés aux fossettes géantes et atrocement prolongées jusqu'au cerveau, le clou est la créature monstrueuse que porte, tel un kangourou, Kuato le mystérieux chef rebelle (Le monstre dans le monstre !). Ceci représentera la seule concession en direction d'un fantastique purement délirant au sein d'une épopée qui se veut avant tout réaliste.

N.M.

   L'interview de Paul Verhoeven  ...

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