Lorsque par un ciel très pur, au milieu du
silence de la nuit, le champ du télescope s'illumine des
feux rougeâtres de Mars, lorsque le disque de la planète
tournant sur lui-même comme la Terre, amène sous les
yeux de l'astronome ébloui ses étranges configurations
: continents ocreux, plaines verdoyantes, calottes polaires, nul
ne se peut défendre d'un sentiment d'ardente curiosité.
Que de fois, au cours des nuits passées à étudier
ce monde voisin, je me suis senti anxieux de résoudre les
problèmes qu'il nous pose périodiquement aux moments
favorables pour son observation. Mars possède une atmosphère,
le fait n'est pas douteux. De quelles matières est-elle composée
? Ces grandes étendues vertes ne sont elles pas de la
végétation, tapis de forêts, de prairies ou
de marécages où s'abritent peut-être des animaux
ressemblant à nos espèces terrestres ? Les calottes
polaires fondant à chaque été de la planète
ne sont elles point des neiges comme les nôtres ? Sur
ces détails qui sont là, au bout de son télescope,
l'astronome concentre alors toute son attention. Il guette les moindres
taches, cherche à voir les nuances les plus faibles, prêt
à surprendre les secrets de ce monde que les mouvements célestes
rapprochent parfois à moins de 60 millions de kilomètres.
II faut avoir étudié Mars pendant de nombreuses oppositions,
avoir passé des nuits entières à en tracer
des dessins corrects, à noter les multitudes de détails
que nous offre son disque mystérieux pour comprendre tout
l'intérêt que présente cette planète
voisine. Avec un grossissement de 540,Mars nous apparaît
sous la forme d'un disque 7 fois plus large que la Lune, 49 fois
plus étendu en surface et ceci vous explique en partie le
nombre de détails qu'y découvre un oeil convenablement
entraîné. Malheureusement, l'écran atmosphérique
entourant la Terre, toujours agité de remous plus ou moins
accentués, gêne considérablement notre vision
et l'on comprend des astronomes comme M. Lowell qui n'ont pas hésité
à fuir tous les centres civilisés pour installer leurs
instruments dans des endroits presque inaccessibles, à 2.200
mètres d'altitude. Ce que l'on saisit moins bien, c'est
que cet effort admirable ait suscité si peu d'imitateurs.
Les nations dites civilisées succombent sous le faix d'un
budget toujours croissant ; toutes sont d'accord pour admettre que
les milliards consacrés à la guerre pourraient sans
peine trouver meilleur emploi ; les Congrès pour la Paix
se multiplient à l'envi et .... résultat final, la
vieille formule romaine est toujours vraie : "Si vis pacem.
para bellum" si tu veux la paix, prépare la guerre.
Et chaque peuple, à regret, imite les voisins, et l'on continue
à s'entretuer comme aux siècles de barbarie passée.
La science, qui pourrait accroître notre bien-être moral
et matériel n'a que chétive part dans nos finances,
elle donnerait si peu à ses actionnaires . Ce n'est pas
cependant que le public ne puisse se passionner pour les grandes
questions qu'elle agite. Celles-ci prennent place chaque jour dans
les quotidiens, à la colonne des faits divers. L'énigme
martienne elle-même est assurée d'un succès
toujours croissant et lorsque la rouge planète parait à
l'horizon, il n'existe pas un journal, pas une revue qui ne subisse
l'entraînement commun. A la dernière opposition,
tous les chroniqueurs scientifiques s'en sont donnés à
coeur-joie et en supposant que je n'aie aucune opinion sur un aussi
passionnant sujet, j'avoue qu'il me serait difficile, à l'aide
de cette littérature envahissante, de me faire une idée,
même approchée de ce qui existe en réalité
là-bas, sur cette terre soeur de la nôtre. J'arriverai,
dira mon lecteur, après beaucoup d'autres. Soit, mais dans
l'exposition des faits, je prétends avoir certains avantages.
" Il est de la plus haute importance, disait récemment
un astronome à propos des faits martiens, que cette exposition
soit faite de première main... On évite ainsi les
amplifications erronées d'une science de rencontre, et tout
un parfum de réalité se dégage vraiment du
récit de celui qui a vu." Or, ce que l'on ne sait
pas, ce qu'il faut dire et répéter au public, c'est
que l'étude de Mars est jusqu'à présent, réservée
aux seuls initiés. Loin de moi, la pensée de faire
des personnalités, niais je n'hésiterai pas à
dire que parmi les articles publiés à ma connaissance
par la presse française à la récente opposition,
un seul émanait d'un astronome qui avait observé Mars
très consciencieusement pendant des années, en un
mot un seul avait vu, de ses yeux vu. Ce qu'il faut dire encore,
c'est que l'étude des détails planétaires est
extrêmement difficile, qu'il y faut une longue habitude, un
véritable entraînement. La vision du sol de la Lune,
dans un télescope est chose facile et à la portée
d'un oeil quelconque. Bien qu'un profane soit loin d'y soupçonner
une complexité de détails absolument déconcertante,
ce qui lui reste à voir suffit amplement à satisfaire
sa curiosité. II en va autrement de la vision d'une planète.
Ici le disque étant largement amplifié en même
temps que les ondes atmosphériques, chaque point de la surface
semble noyé dans une sorte de brume impalpable sans cesse
agitée. II faut rester des heures entières, l'oeil
rivé au télescope, l'attention concentrée sur
une région peu étendue, pour en surprendre le véritable
caractère et la forme réelle. Et s'il s'agit de
détails placés à la limite de visibilité,
soit en raison de leur faible luminosité, soit à cause
de leur petitesse, la tâche de l'astronome devient un travail
extrêmement pénible, surtout les premiers temps.
Cependant, l'intérêt du sujet soutient l'attention,
l'acuité visuelle se perfectionne, et au bout d'un certain
nombre d'années de cette occupation continue, on est tout
étonné d'entendre des personnes avant vu simultanément
le même objet dans le même instrument, clamer très
haut leur désillusion. Mars est la quatrième planète
dans l'ordre des distances au Soleil, elle vient immédiatement
après la Terre.
Son diamètre est à peu près 2 fois moindre
que celui de notre globe et son volume 6 fois 1 / 2 plus faible.
Mais la densité du sol martien est loin d'atteindre celle
du nôtre, puisque au total Mars pèse environ 10 fois
moins que la Terre. Sur notre voisine, les années sont
2 fois moins longues que chez nous et comme l'axe de Mars offre,
à peu de chose près, la même inclinaison que
celui de la Terre, il y a le même rapport entre la chaleur
de l'été et le froid de l'hiver. Si j'ajoute que
la pesanteur en raison de la masse est au moins 3 fois plus faible
que chez nous et que le jour martien a une durée de 24 heures
37 minutes 22 secondes et 67 centièmes, je vous aurai appris
tout ce que nous savons de mathématiquement certain sur cette
intéressante planète.
Et les cartes de Mars, et les mers et les canaux et les habitants,
et les signaux qu'ils nous envoient ! Attendez, nous y reviendrons.
Pour que vous saisissiez toute la portée des travaux récents
j'estime qu'il faut vous mettre an courant de ceux que la planète
a fait naître depuis due le fondateur de l'Astronomie physique,
William Herschel, entreprit l'étude de Mars à l'aide
des télescopes qu'il construisait lui-même. Toutefois,
l'éminent astronome ne nous a laissé aucune carte
résumant l'ensemble de ses observations, mais à la
suite de ses travaux, on admit généralement duc Mars
offrait des pôles de glace ou de neige dont les fluctuations
en étendue suivaient les saisons de la planète. Les
trois grandes lignes de la topographie martienne furent alors soupçonnées
et, en 1783, le grand astronome pouvait écrire ces lignes,
dont le sens n'a fait que s'affirmer après plus de 120 ans
de recherches : " L'analogie entre Mars et la Terre est
peut-être de beaucoup la plus grande qui existe dans le système
solaire tout entier. " " Cette circonstance, ajoute
Miss Clerke, donne un intérêt tout particulier à
l'étude des conditions physiques de notre voisine planétaire
extérieure. " Dans le premier quart du XIXe siècle,
les connaissances sur la planète Mars, au point de vue physique,
peuvent se résumer ainsi : Les saisons martiennes sont
analogues aux nôtres quoique 2 fois plus longues en raison
de la plus grande durée de révolution de la planète
dut est de 687 jours (l'inclinaison de l'axe de Mars étant
sensiblement égale à celle de l'axe terrestre). .
Les neiges polaires fondent presque entièrement pendant l'été
; elles n'occupent pas nécessairement les pôles géographiques
du globe martien. Mars offre aussi des taches sombres, bleues
ou vertes, qui paraissent varier en étendue et peut-être
en position. Les variétés de teintes sont dues
à des différences réelles d'un globe formé
de terre et d'eau, les parties rougeâtres ou jaunes étant
de véritables continents, les taches et les traînées
sombres, des océans ou des détroits. Cette dernière
interprétation a survécu à toutes les discussions
et, à l'heure actuelle, tous ceux qui s'occupent de Mars,
continuent à employer des termes fondés sur des idées
préconçues et en partie erronées. Avec
les travaux de Beer et de Madler (1830 à 1841) s'ouvre un
ère nouvelle dans la science aérographique (Science de la planète Mars), une sorte de période de transition,
période intéressante et dont nous aurions tort de
ne pas tenir compte. C'est à ces deux astronomes que nous
devons le premier essai d'une carte de Mars sur laquelle on reconnaît,
malgré des erreurs inévitables, les premiers linéaments
de la géographie du globe martien. Les perfectionnements
apportés au télescope par W. Herschel et plus tard,
les corrections que d'habiles opticiens firent subir aux objectifs
des lunettes permirent à l'Astronomie physique de se développer
et de prendre une place de plus en plus prépondérante.
Au reste, nous voyons entrer dans la lice, à partir des travaux
de Beer et Madler les plus illustres astronomes. Sir John Herschel
dont les dessins de nébuleuses provoquent encore notre admiration,
se préoccupa des configurations de Mars et c'est à
lui que nous devons la première idée d'avoir attribué
à la couleur du sol martien, cette coloration rougeâtre
caractéristique. Avec le P. Secchi et Sir Norman Lockyer,
nous commençons à trouver de très bons dessins
dont les détails sont assez nombreux pour imposer la nécessité
d'une nomenclature destinée à l'identification. En
1869, l'astronome Proctor dresse une carte vraiment sérieuse
de la planète, d'après les dessins de Dawes ; Kaiser
publie dans son Aérographie un résumé de tous
les travaux depuis l'époque de Fontana (1636) qui observait
une vingtaine d'années après l'invention de la lunette.
On admit alors que les grandes configurations martiennes, tout en
restant très identifiables à plusieurs années
d'intervalle, présentent des aspects cependant différents
: leurs bords sont soumis à une extension, variable, comme
leur coloration, résultat déjà soupçonné
à la fin de 1830. Les taches sombres sont regardées
comme des mers, hypothèse confirmée, croyait-on, par
les recherches spectroscopiques d'Huggins en 1867 et de Vogel en
1873. On découvre des bandes plus ou moins étroites
reliant les mers et auxquelles on donne le nom de fleuves ;
Enfin, on croit fermement que Mars doit avoir une météorologie
analogue à la nôtre, quoique moins accentuée.
Cependant, malgré les progrès accomplis, il restait
encore nombre de points obscurs. La période qui suivit immédiatement,
tout en augmentant nos connaissances générales, n'était
pas faite pour résoudre l'énigme martienne. Le
5 septembre de l'année 1877, Mars s'offrit dans les meilleures
conditions d'observation, avec un disque de 25" de diamètre.
M. Schiaparelli, directeur de l'Observatoire de Milan, en profita
pour tenter un repérage trigonométrique des principales
configurations : 62 points furent notés et dans sa première
carte publiée à la fin de 1878, on put voir un grand
nombre de détails complètement inédits. Les
fleuves y prennent une extension considérable. M. Schiaparelli
imagine alors une nomenclature mythologique où les taches
sombres reçoivent décidément le nom de mers
et où les continents disparaissent pour faire place à
de véritables îles plus ou moins grandes, entourées
des principaux fleuves. Il y a, dans cette première oeuvre
de Schiaparelli, un travail sérieux et considérable.
Les fleuves tracés par lui avaient bien une existence réelle
et objective, quoi qu'on en ait dit. Et ce qui le prouva immédiatement
fut le fait qu'on put les identifier avec les détails observés
à différentes époques par divers astronomes,
tels que Dawes, Secchi et Holden. Mr. Burton et Dreyer les tracèrent
aussi indépendamment, mais partiellement, sur leur carte
dressée en 1879. A cette même époque, Schiaparelli
les identifia de nouveau et put repérer 144 points fondamentaux.
Mais, à partir de ce moment, une évolution s'opère
dans les dessins de cet astronome, et cette évolution est
extrêmement importante pour l'avenir de l'Aérographie.
Les fleuves s'amincissent et deviennent plus droits : l'auteur les
appelle canali, mot qu'on a traduit par canaux ; dans sa troisième
carte, publiée après l'opposition de 1881, presque
tous les canaux sont des lignes droites ou des arcs de grands cercles
dont certains, toujours très étroits, atteignent des
longueurs de près de 5000 kilomètres. La carte
d'ensemble, résumant toutes les observations de 1877 à
1888 est plus typique encore : on la croirait construite par un
autre dessinateur ; elle ne rappelle en rien celle de 1877. Les
tracés curvilignes, à part les lignes de littoral,
sont l'exception, tout est tiré au cordeau et à l'équerre
; on dirait un réseau artificiel enserrant la plante, mieux
que ne le font nos lignes de chemin de fer, qui se plient aux exigences
d'un terrain modelé par l'érosion ou par les mouvements
orogéniques du globe. Avec son réseau de traits
sombres alignés au cordeau et tracés comme les rues
d'une ville américaine, Mars était de beaucoup la
plus intéressante de toutes les planètes ; les dernières
observations de l'astronome italien, publiées après
l'opposition de 1889, en firent le monde le plus étrange
qu'on puisse imaginer. " En certaines saisons, dit il,
les canaux se dédoublent, ou plutôt se doublent. "
A la fin de l'opposition de 1879, Schiaparelli avait déjà
observé un cas de ce genre ; à l'opposition suivante
(1881-1882), dans l'espace d'un mois, 17 exemples analogues se produisirent.
Le mécanisme du phénomène, tel qu'il le décrivit
alors est assez curieux. En général, une ombre légère
se forme sur le canal ; quelquefois, ce sont des taches blanches
indécises ; puis le jour suivant, " à gauche
ou à droite d'une ligne préexistante, sans que rien
ne soit changé dans le cours ou la position de cette ligne,
on voit se produire une autre ligne égale et parallèle
à la première, à une distance variant de 350
à 700 kilomètres ; il parait même s'en produire
de plus proches, mais le télescope n'est pas assez puissant
pour permettre de les distinguer avec certitude. Leur teinte parait
être celle d'un brun roux assez foncé. Le parallélisme
est quelquefois d'une exactitude rigoureuse ". Ainsi, à
la place où la veille on avait aperçu un trait sombre,
on constate la présence de lignes parallèles a 100
ou 200 kilomètres l'une de l'autre. Schiaparelli cite même
un cas de dédoublement dans lequel les composantes étaient
séparées par un intervalle de 890 kilomètres
I En 1886 le même auteur revient sur ce mystérieux
mécanisme. I1 constate que l'une des deux bandes n'a pas
toujours conservé l'emplacement du canal primitif ; "
il peut même arriver que ni l'une ni l'autre des deux formations
ne coïncide avec l'ancien canal ". Chose très
intéressante à constater, certains canaux se sont
toujours montrés rebelles au dédoublement. Le
fait que la gémination fut confirmée dans la suite
par différents astronomes n'enlève pas nécessairement
au phénomène tout caractère illusoire. On peut
citer, par exemple, le cas suivant assez extraordinaire : pendant
l'opposition de 1886, alors que Mr. Perrotin et Thollon observaient
à Nice des canaux nettement doubles, Schiaparelli à
Milan persistait à les voir simples. Cependant, un nouvel
astronome allait bientôt consacrer presque exclusivement à
la planète son temps et ses ressources. A son observatoire
de Flagstaff (Arizona), M. Lowell, à partir de 1894 entreprenait
une élude attentive de ce monde mystérieux. Il était
favorisé par une atmosphère excessivement limpide
à 2200 mètres d'altitude et observait à l'aide
d'une lunette de 0,61 m. d'ouverture. II renchérit, pour
ainsi dire, sur les configurations géographiques dessinées
par Schiaparelli, et couvrit la planète Mars d'un réseau
de lignes fines à mailles tellement serrées qu'on
dirait le globe martien, construit d'après ses observations,
comme recouvert d'une toile d'araignée. Le nombre des
canaux enregistrés à Flagstaff, atteignait en 1905
le chiffre fantastique de 420. Depuis lors, ce nombre a augmenté
de moitié. Ils sont tous rectilignes, et cette tendance se
fait sentir jusque sur le tracé des mers. Suivant plusieurs
observateurs et d'après les travaux de Lowell et Douglass,
les canaux ne seraient pas limités aux portions rougeâtres
de la surface, mais s'étendraient indistinctement aux régions
sombres, c'est à dire dans les mers Cette observation, que
j'ai confirmée depuis, et je ne suis pas le seul, est d'une
très grande importance, car elle prouve à l'évidence,
que ces régions sombres ne sont pas du tout des masses d'eau.
A l'intersection des canaux, M. Lowell a remarqué en outre,
à certaines époques, de petites taches rondes noires,
auxquelles il a donné le nom d'oasis. La terminologie
adoptée par M. Lowell s'accorde d'ailleurs parfaitement avec
ses idées et cet astronome est convaincu que nous sommes
en présence d'une oeuvre due a des êtres intelligents.
Aussi étrange que paraisse la théorie de l'artificialité
des canaux, elle a été soutenue par différents
astronomes et M. Lowell la défend avec acharnement. Reprenant
l'hypothèse émise par Pickering, l'astronome de Flagstaff
croit que l'eau ne peut exister facilement à l'état
libre sur Mars ; les régions sombres seraient dues à
la végétation; des canaux creusés par les Martiens
pour s'assurer d'un système savamment combiné d'irrigation,
nous ne verrions que les bords recouverts d'une végétation
dont le développement suivrait les saisons. II en serait
de même des oasis. Dans ses ouvrages sur la planète
Mars, M. Lowell entre dans une foule de détails, pour montrer
à son lecteur quels stades sa pensée a traversés
pour en arriver à ces étranges conclusions. Ainsi,
pour lui, l'existence d'habitants sur la planète ne fait
aucun cloute ; mais il ne suffit pas d'affirmer, il faut prouver.
Il m'a donc paru nécessaire d'exposer d'une façon
impartiale les vues originales de l'astronome américain.
Nous les discuterons ensemble, c'est le seul moyen d'esquisser une
solution, ne fût-elle qu'approchée de ce passionnant
problème.
Les Martiens
Pour
tout observateur sérieux et muni d'un bon instrument, un
fait extraordinaire doit s'imposer, dit en substance M. Lowel :
c'est l'apparition des canaux. Tantôt,
en effet, le disque de la planète nous en montre très
peu, parfois, aucun d'eux n'est même visible , tantôt.
au contraire, ceux-ci se révèlent en très grand
nombre. A
quoi tient ce phénomène ? Devrait
on l'attribuer à une vision plus ou moins défectueuse,
causée par la distance variable de Mars à la Terre,
ou bien serions nous en présence d'un voile brumeux nous
dérobant les détails sur de vastes étendue ?
Ni l'une
ni l'autre hypothèse ne sont satisfaisantes, répond
l'astronome américain. La
définition plus ou moins bonne, c'est à dire la netteté
avec laquelle on aperçoit des canaux, n'a rien à voir
ici. II en est de même de la distance : ce qui le prouve surabondamment,
c'est ce fait renouvelé bien des fois que les canaux se sont
souvent montés plus nombreux malgré le grand éloignement
de la planète. l
y a mieux, chaque canal semble avoir ses moments d'apparition ou
de disparition sans qu'on puisse généraliser le fait
pour une contrée particulière. C'est ainsi (lue de
deux canaux voisins, un seul s'obstine à demeurer caché
pendant que l'autre lui succède et se révèle
à nos yeux étonnés. Voilà
le phénomène brut que nous constatons ; il mérite
donc toute notre attention. C'est alors que M. Lowel eut l'idée
de faire appel à une statistique rigoureuse pour essayer
d'élucider la question. Chaque
canal fut étudié séparément et son degré
de visibilité fut noté pour chaque saison martienne.
En réunissant
tous les nombres obtenus, on put tracer une courbe donnant les caractéristiques
d'apparition titi canal : c'est cette courbe révélant
propriétés intrinsèques de chaque formation
que M. Lowel, en son langage pittoresque appelle le Cartouche du
Canal autrement
dit sa signature ou son sceau. Cent
neuf canaux fournirent ainsi des cartouches différents qu'on
soumit à un examen approfondi. Les
conclusions de ce long travail nous apprirent
alors une chose tout à fait curieuse. L’apparition
des canaux est liée à la fusion des calottes polaires,
c'est à dire à la fonte des neiges boréales
ou australes. Leur développement
suit un mécanisme analogue. Supposons
par exemple, qu'il s'agisse de l'hémisphère boréal,
voici le spectacle auquel nous assisterions. La
fonte des neiges commence : apparition des canaux, près du
pôle ; à mesure que la calotte polaire diminue en surface,
les canaux se développent
et gagnent les régions tropicales ; bientôt
l'équateur est envahi, puis dépassé et les
canaux font ainsi leur apparition dans l'hémisphère
Sud. Dès
l'arrivée du froid, ce développement s'arrête
et se met à rétrograder, « les canaux les
plus septentrionaux étant les premiers touchés ».
Nous
sommes donc en présence d'un phénomène saisonnier
bien évident. Ici, la chaleur solaire joue un rôle
incontestable, quelque explication qu'on en donne, puisque la période
de visibilité d'un canal dépend de sa distance au
pôle éclairé et soumis aux rayons du Soleil
; mais tout cela n'est rien en comparaison de ce que constata plus
tard M. Lowell. Supposons
que vous ayez étudié la planète une année
quelconque ; vous y avez noté des détails parfaitement
visibles, vous avez dessiné des mers, des continents, des
canaux - je continue à employer ces mots comme de pures étiquettes
et sans leur donner aucun sens défini - vous vous êtes
rendu compte des variations saisonnières et vous avez repéré
chaque objet d'une façon précise. L'opposition terminée,
les jours ne passent pas assez vite et vous attendez anxieusement
le retour de l'astre mystérieux. Le
voici enfin ; vite l’œil
à l'oculaire, vous scrutez la surface de ce aronde
voisin dont vous connaissez à fond la topographie. La carte
que vous en avez dressée est là, dans votre mémoire
et vous vous attendez à revoir les mêmes détails,
les mêmes contours, les mêmes configurations. Pas du tout ; une
partie de ces détails, même les mieux visibles, a disparu
comme par enchantement ; sans doute l'aspect général
est identique : voici
la mer du Sablier, la ,mer des Sirènes, la région
de l'Hellas ; çà et là, des canaux reconnaissables,
mais certains autres, nettement visibles l'année précédente,
n'existent plus. Des
années s'écoulent sans ramener exactement le dessin
soigneusement exécuté naguère ; vous êtes
convaincu que la plante a subi de profonds changements, lorsque
tout à coup, sans cause apparente, sans raison soupçonnable,
vous vous retrouvez un beau jour en face de l'aspect primitif, heureusement
enregistré sur vos dessins.
(Les parties sombres représentent
les Mers et les Canaux) Planisphère de la Planéte
Mars dressé par l'Abbé Th.Moreux d'aprés ses
observations
Nous
voilà donc en présence d'un phénomène
entièrement différent de ceux que nous révèlent
les cartouches. Telles
sont les apparences mystérieuses ,qu'il faut expliquer.
Nous
allons suivre encore l'astronome américain sans le discuter.
Que
faut il pour l'apparition de la vie végétale sur une
planète ? Deux facteurs principaux : des matériaux
bruts d'abord, de l'oxygène, du carbone, de l'azote, de l'eau
et quelques sels ; puis, un agent excitateur qui est le Soleil.
Sur
notre globe, les matériaux ne font jamais défaut,
mais le Soleil se retire périodiquement d'un hémisphère
pour passer dans la moitié opposée. Si donc, un spectateur
pouvait s'éloigner de la Terre à une distance assez
grande pour l'embrasser d'un seul coup d’œil, voici certainement
ce qu'il constaterait. Dès
la venue du printemps, une onde de verdure envahirait l'hémisphère
boréal de la planète et couvrirait bientôt ses
continents. La
pousse des plantes ne serait pas, en effet, simultanée sur
toute la surface. A partir de l'équinoxe, une bande verte
se dessinerait vers l'équateur et se propagerait sous la
forme d'une onde dont la limite supérieure atteindrait les
régions arctiques une centaine de jours après. Le
calcul indique, pour la vitesse de cette onde, une valeur de 75
à 80 kilomètres par jour, en moyenne. Eh bien, sur Mars,
nous assistons à un phénomène analogue, mais
celui-ci se produit en sens inverse : l'onde de végétation
commence au pôle et descend peu à peu vers l'équateur.
D'où
provient la différence ? De la climatologie et de la
constitution intrinsèque des deux planètes. Sur Mars, comme
sur la Terre, le Soleil revient périodiquement, mais l'eau
manque. "Nous le savons pertinemment par les divers phénomènes
que nous présente le disque et qui, n'ayant aucun rapport
avec nos recherches actuelles, ne peuvent être le fruit d'idées
préconçues. Sa surface n'est diversifiée d'aucune
masse d'eau permanente, la traversée des soi-disant mers
par des lignes sombres immuables en est une des preuves. La seule
eau de surface que connaisse la planète est celle provenant
de la fusion des calottes polaires. La végétation
ne peut partir qu'après l'arrivée de l'eau. Donc,
malgré la présence du Soleil, la végétation
doit attendre la venue de l'eau et suit son maigre débit
dais son cours vers l'équateur. " Les courbes de visibilité
des canaux montrent précisément ces apparences opposées
à ce que nous observerions sur la Terre, vue de loin. Influencée
surtout, non par le retour du Soleil, mais par l'arrivée
de l'eau, la végétation renaît, non en remontant
les latitudes, mais en les descendant sur le disque. Les canaux sont
donc des bandes de végétation alimentées par
l'eau provenant des calottes polaires et nous savons que leur action
ne s'arrête las à l'équateur, mais le dépasse
dans l'autre hémisphère. Mais
la présence sur Mars d'une vie végétale force
par analogie à admettre l'existence d'une vie animale. Évidemment,
il est impossible d'avoir aucune preuve directe de la présence
d'animaux sur une planète quelconque ; il n'en serait plus
de même, toutefois, s'il y avait sur Mars des êtres
intelligents, capables de transformer la surface de la planète.
Or,
les immenses travaux agricoles de certaines régions terrestres,
comme le Kansas ou le Dakota, ne pourraient pas ne pas attirer l'attention
d'un observateur extra-terrestre par les variations de teinte se
succédant avec vue régularité mécanique.
C'est justement, d'après M. Lowel, ce que nous révèle
le disque de Mars. « Vous y voyons, dit il, les canaux
et les oasis offrir précisément les apparences que
nos raisonnements a priori nous disent être le signe qu'une
planète est habitée. Nous avons des taches rondes
ressemblant à nos
centres habités et des lignes droites comme nos voies de
communication, car les oasis sont assurément les ganglions
dont les canaux sont les nerfs. Cette géométrie étrange
qui défie toute autre hypothèse devient maintenant
la clef même de la solution. Cet aspect d'artificialité
qui faisait se méfier des phénomènes eux-mêmes
s'affirme comme le nœud vital de toute la question; comme la signature
de l'architecte sur la bâtisse achevée, il en indique
l'auteur. " L'absence
de toute masse liquide importante est l'indice que l'eau est très
rare sur la planète. Celle qui provient de la fusion des
calottes polaires est la seule dont nous puissions constater la
présence. Dès lors " la faune ne peut survivre
qu'en utilisant ce qui reste le mieux possible et, pour y arriver,
elle doit y consacrer ses meilleurs efforts dont l’œuvre finira
par déformer la surface de la planète et trahir sa
présence. Les canaux prouvent donc une intelligence constructive
et de plus amples recherches confirment lit théorie de leur
artificialité " . Ici,
M.Lowell tire argument de l'aspect sous lequel il les voit : "Les
canaux sont d'aspect rigide comme un coup de crayon, telle est la
caractéristique qui frappe de suite l'observateur rien prévenu
Schiaparelli a dit depuis longtemps sans s'aventurer à spécifier
la nature des canaux, qu'ils étaient tracés comme
à la règle et au coin... Leur précision est
si minutieuse qu'elle défie tout essai de dessin à
main levée... Une règle seule peut reproduire ce que
nous montre le télescope et quelque étrange que soit
l'aspect des dessins, l'original est encore plus étrange
". Disons
cependant - nous y reviendrons plus loin - que Schiaparelli, dans
sa dernière méthode et Lowell sont les seuls à
voir les canaux sous cet aspect. Aucun autre observateur, même
muni d'instruments plus puissants, ne petit voir les canaux autrement
que larges. diffus, irréguliers et très dégradés
sur les bord. Quoi
qu'il en soit, Lowell voit dans la précision géométrique
de ces lignes un caractère certain d'artificialité.
Leur rectitude ne peut être l'effet du hasard : sur une sphère,
une ligne droite est un arc de grand cercle, par conséquent,
le chemin le plus économique. Leur largeur uniforme sur d'immenses
parcours, est aussi une chose inexplicable par une action naturelle
quelconque, tandis que l'extrême ténuité prouve
une industrie raisonnée, désireuse de ménager
ses ressources. La gémination elle aussi intervient dans
le même sens. « Ces lignes parallèles et identiques
comme deux files de rails, paraissent absolument au-dessus du pouvoir
des causes naturelles. Mais elles ne sont plus aussi énigmatiques
si on leur donne un caractère artificiel. corroboré
d'ailleurs, par la connaissance récente de leur mode de répartition.
Les
géminations sont abondantes surtout près de l'équateur,
là où la circonférence des longitudes est la
plus grande ; elles diminuent ensuite pour disparaître par
60 degrés de latitude et disparaître d'une façon
absolue. C'est là quelque chose de très significatif,
complètement inexplicable d'une façon naturelle et
qu'on ne peut rattacher qu'à un plan de voies de communication
ou de canaux, distribuant l'eau d'irrigation vers les basses latitudes.
La répartition des géminations est en harmonie avec
la loi de développement applicable à l'ensemble des
canaux. Les deux composantes de chaque paire peuvent être
un canal d'amenée et un de retour, mais nous ne savons encore
rien de positif là-dessus. Le sujet peut être beaucoup
plus complexe et il faut se garder soigneusement, ajoute plaisamment
M. Lowell, « de confondre le fait avec l'imagination ».
La forme
ronde des oasis est également bien significative, le cercle
ne possède t il pas la propriété d'offrir le
maximum de surface pour un périmètre donné
? " Des constructeurs, suffisamment intelligents, seraient
fatalement conduits à établir un plan où la
plus grande superficie possible serait obtenue avec la moindre dépense
de forces. Cela revient à dire qu'ils chercheront un dessin
où la distance du centre au bord sera minimum ; en d'autres
termes, ils aboutiront à la forme circulaire ".
Voici
enfin un dernier argument, tiré du fait que l'onde de végétation
partant du pôle ne s'arrête pas à l'équateur,
mais franchit cette ligne et se poursuit très avant dans
l'hémisphère opposé. Une
planète au repos, en se refroidissant, aurait pris une forme
sphéroïdale, si elle n'avait été soumise
à aucune action extérieure. Mais, si la planète
est animée d'un mouvement de rotation, il se produit un aplatissement
aux pôles et le solide devient un ellipsoïde de révolution.
Mais dans les deux cas, la surface est en équilibre hydrostatique
et une particule liquide placée en un point quelconque de
cette surface théorique doit rester où elle est, sans
aucune tendance à un mouvement déterminé.
Telle
est la surface de Mars. " Mais l'eau qui réveille la
verdure des canaux descend du voisinage des pôles vers l'équateur,
à mesure que la saison s'avance. La pesanteur ne l'y sollicite
pas. Aucune force naturelle ne l'y pousse et il est impossible d'écarter
l'idée d'un mécanisme artificiel établi tout
exprès. Cette hypothèse est difficile à détruire,
car l'eau ne peut que descendre et la pente ne saurait exister sur
une surface en équilibre hydrostatique... » Or, l'entier
système des canaux de Mars se développe progressivement
des pôles vers l'équateur. Le
mécanisme, quoique inverse, rappelle en plus d'un point ce
qui se passe sur la 'l'erre. La
végétation martienne, partie des régions arctiques,
met 51 jours pour arriver aux contrées équatoriales.
Cette vague ou plutôt cette reviviscence végétale,
accomplit ainsi un parcours de 4240 kilomètres. Cela nous
donne pour l'eau une vitesse de 8o kilomètres par jour, un
peu moins de 3 kilomètres ½ à l'heure et, chose
remarquable, le phénomène est très régulier.
Toutes
ces particularités indiquent évidemment, conclut M.
Lowell, que la nature ici ne prend aucune part à ces manifestations.
Les Martiens font tout. Mars, plus petit que la Terre, est plus
avancé dans son évolution, les êtres intelligents
sont donc plus loin que nous dans le stade de la civilisation et
c'est un jeu pour les ingénieurs de ce monde vieilli de tracer
des cours d'eau de 5000 kilomètres de longueur sur une planète
où le service des travaux publics est encore favorisé
par une diminution très notable de la pesanteur. Dès que la
fonte de la calotte polaire commence, tout le monde est à
l’œuvre ; l'eau, si rare, est recueillie immédiatement et
envoyée dans les canaux. Par quel mécanisme est-elle
lancée en un flot torrentueux, parcourant 80 kilomètres
en 24 heures
? Voilà ce que nous ignorons. Mais si nous ne voyons
ni les pompes, ni les ni les écluses, ni les travaux gigantesques
auxquels les Martiens ont dû se livrer pour opérer
l'irrigation d'un hémisphère entier en 52 jours, du
moins pouvons nous rendre compte des résultat. Ceux-ci ne sont
pas douteux. A mesure qu'avance le front de l'onde mouvante, les
riverains du canal, sans perdre un seul instant, ouvrent les vannes
et arrosent leurs champs, leurs prairies, leurs moissons. La végétation
renaît aussitôt sur les rives de ces fleuves artificiels
et voilà le phénomène
que nous apercevons de loin dans nos télescopes.
La nature,
livrée à elle-même n'accomplirait pas ces prouesses
; elle ne tracerait pas des canaux rectilignes sur d'aussi vastes
étendues, elle ne saurait, sans enfreindre ses lois, transport
l'eau bienfaisante des pôles à l'équateur, et
sur tout, elle n'aurait pas l'idée d'utiliser l'abondance
des flots au moyen de canaux doubles parallèles, de créer
des oasis distribuées régulièrement sur un
sol désertique, bref de rendre possible la vie végétale
et animale sur un monde mourant de soif, de lutter jusqu'au bout
contre la sécheresse d'un climat saharien et de transformer
en éden une planète agonisante.
Non,
mille fois non, nous ne voyons pas les Martiens, nous ne les verrons
jamais, car à cette distance, nos instruments, aussi perfectionnés
que nous les supposions, seront toujours impuissants à nous
les montrer, mais nous les voyons à l’œuvre, nous voyons
les résultats de leur travail aidant la nature, nous apercevons
les effets et nous devinons la cause.
Mars,
sans les Martiens, est inexplicable. L'artificialité des
canaux, au contraire, explique tout: donc les Martiens existent et la planète,
quoique mourante, nourrit encore des êtres intelligents.
Comment imaginer la Planéte Mars ?
La publication des idées de M. Lowell, est-il besoin de
le dire, causa un émoi bien légitime dans le monde
savant. Les revues techniques les discutèrent âprement,
les chroniqueurs scientifiques les traduisirent en un langage accessible
au grand public. Elles furent bien un peu déformées
en cours de route ; toutefois, la conclusion. la pensée maîtresse
de l'oeuvre subsistait, c'était le principal. On aurait
eu mauvaise grâce à chercher lus conditions d'habitabilité
du globe martien : le fait était là, sous nos yeux
: Mars était habité. Sans vouloir anticiper sur
les conclusions d'une discussion qui s'impose, commençons
d'abord par rendre hommage à l'astronome dont la science
et la ténacité nous ont révélé
des faits extrêmement étonnants. M. Lowell a fait
faire à l'Aérographie des progrès énormes,
il nous a légué des observations admirables et son
oeuvre, continuée avec persévérance pendant
des années, est digne de tous les éloges. Personne
n'a mis en doute sa bonne foi, mais il est bien permis (le discuter
les faits et les conclusions qu'il en lire. Même en supposant
vérifiée l'hypothèse des canaux, la création
de ceux-ci par des êtres intelligents ne s'ensuit pas nécessairement.
Quels sont, au fond, les arguments de M. Lowell en faveur de l'existence
des Martiens ? La forme géométrique des canaux d'abord,
puis, lit circulation antinaturelle de l'eau amenant un développement
de la végétation en sens inverse de ce qu'elle devrait
être. Voilà, nous dit il, deux preuves irréfutables
et " la présence d'êtres vivants de quelque espèce
est une chose que nous pouvons considérer comme aussi certaine
que la vraie nature de ces êtres l'est peu " .
Cependant, il ajoute un peu plus loin : " La première
conclusion à laquelle nous arrivons, est celle de la nature
nécessairement intelligente et pacifique de la race d'êtres
qui partagent si également leur globe ". Mais il
est un principe dont nous ne devons jamais nous départir
dans la philosophie des sciences naturelle. Une hypothèse
n'est prouvée que le jour où il est avéré
qu'aucune autre ne peut s'y substituer pour expliquer les faits.
Bien plus, de deux hypothèses également satisfaisantes,
nous devons choisir la plus simple. La forme géométrique
des canaux est-elle un fait indubitable ? Pas du tout. Cette
forme spéciale est niée par tous les observateurs
de Mars ou à peu prés. A l'origine de ses éludes,
Schiaparelli lui-même - nous l'avons déjà remarqué
- apercevait lus canaux comme on les avait vus avant lui. Ses dernières
cartes, seulement, nous fournissent un tracé géométrique,
corroboré plus lard par les astronomes de Flagstaff.
Schiaparelli, mieux que personne, aurait pu donner l'explication
de celte évolution. Qu'on n'allègue pas, en la circonstance,
une habitude plus grande clos observations : un astronome déjà
rompu à la vision télescopique ne perfectionne pas
subitement son acuité visuelle - on a plutôt vu le
contraire se produire quelquefois - mais il peut, sous l'influence
d'idées préconçues changer son mode d'interprétation
et, par conséquent, sa façon même de rendre
les détails. M. Lowell invoque la perfection de ses lunette
et la transparence de l'atmosphère au point élevé
ou il est établi ; d'après lui, si les conditions
atmosphériques étaient meilleures dans les autres
observatoires, on obtiendrait les mêmes résultats.
C'est aussi la conclusion de M. James Worthington qui a passé
un mois, en 1919 à Flagstaff pour y étudier la planète
avec les instruments de M. Lowell. " Chaque jour, dit-il, les
canaux devinrent plus visibles ; le 25 octobre, avec une définition
parfaite, ils m'apparurenLavec une netteté et une facilité
extraordinaires, bien tranchés et bien droits, comme des
fils télégraphiques contre le ciel, les oasis étant
aussi extrêmement nettes. " Et cet astronome ajoute que
les dessins donnés par Lowell sont plus pris de l'aspect
réel que tout ce qu'il a jamais vu, bien que, même
sur ces dessins, les lignes semblent à peine assez fines.
De fait, Lowell a cherché à évaluer le diamètre
de ces canaux et voici les conclusions auxquelles il est arrivé
en comparant leur largeur à celle d'un fil d'un diamètre
connu placé à une distance déterminée.
Bien que le fil utilisé eut à peine 2 millimètres
de diamètre, on put néanmoins l'apercevoir nettement
à une distance (le plus de 600 mètres ; le diamètre
apparent ne sous-tendait alors que sept dixièmes de seconde
d'arc. Ceci correspondrait sur Mars, au moment d'une opposition
moyenne, à une largeur réelle de 1200 mètres.
Mais comme certaines causes peuvent troubler la perception de l'objet,
Lowell admet 1600 mètres comme largeur minimum d'une ligne
qu'on peut distinguer sur Mars à l'époque du plus
grand rapprochement de la plante et avec la meilleure définition.
Or, il est certain que l'oeil peut voir des objets très petits
sans être capable de distinguer leur véritable forme.
C'est ainsi qu'un fil télégraphique peut être
perçu, nettement projeté sur le ciel même, s'il
sous-tend un angle inférieur à 1", comme le prouve
l'expérience de Lowell lui-même Si le fil a une largeur
de 2 à 3", c'est (in objet remarquable. Toutefois, ce
n'est pas là une vision vraiment nette de l'objet, car celui-ci
peut être irrégulier, couvert d'aspérités,
interrompu ,sans cesser d'être visible comme un trait continu
et régulier. Si, maintenant l'objet est un simple point,
il lui faut en moyenne 34 secondes de diamétre pour impressionner
notre oeil ; mais quelle que soi sa forme vraie, il nous apparaitra
toujours, parfaitement rond. Pour que nous ayons une vision nettement
définie, l'objet doit avoir une surface au moins 4 fois plus
grande, par conséquent 3500 secondes carrées environ
; on reconnaitra alors sa véritable forme, on pourra dire
s'il est carré, irrégulier, ou simplement rond.
Voilà une distinction qu'on doit faire nécessairement
entre la perception simple et la vision bien définie. Au-dessous
d'une certaine dimension, les objets nous apparaissent toujours,
soit, comme une simple ligne droite tris régulière,
soit comme un disque absolument rond. Ce principe optique nous donne
l'explication suffisante des canaux et (les oasis, sans qu'il soit
besoin de recourir à l'artificialité En réalité,
les canaux doivent être composés d'une série
de taches irrégulières, juxtaposées, probablement
séparées les unes des autres, trop faibles chacune
pour impressionner suffisamment notre oeil D'ailleurs, des observations
récentes au grand télescope de l'observatoire de Meudon,
avec les grandes lunettes de Lick et de Yerkes, au grand télescope
du mont Wilson, par des observateurs aussi habiles que M. Lowell,
n'ont pas corroboré sa façon de voir : les canaux
apparaissent nettement très irréguliers de forme et
d'intensité : c'est ainsi d'ailleurs que les ont toujours
représentés les bons dessinateurs de la planète.
Les photographies de Mars obtenues ces dernières années
ne sont point pour corroborer les formes géométriques
présentées par les dessins de Flagstaff. Toutes correspondent
aux représentations qu'en donnent les meilleurs dessinateurs
de tous les pays. M. Lowell, répliquera-t-on, favorisé
par ses instruments et sa position, voit mieux que ses confrères.
Admettons-le encore. Il nous reste alors à expliquer pourquoi
les disques de Mars, dessinés par M. Lowell, persistent,
même vus à distance, à nous donner une impression
différente des photographies. Jamais de grandes ombres, ni
de larges surfaces colorées, mais toujours un réseau
rappelant une toile d'araignée recouvrant une surface plate.
Je ne sache pas que M. Lowell ait jamais répondu à
cette objection capitale que je lui ai faite en 1906 (1). Ne
nous arrêtons pas encore à ces détails. Supposons
que les dessins de M. Lowell soient corrects, que nous retrouvions
sur Mars un véritable entrecroisement de lignes ou de portions
de lignes droites, que les mers soient délimitées
par des axes rectangulaires comme il se plaît cl nous le faire
croire ; tout cela ne prouve rien en faveur de l'artificialité.
La nature nous offre <les exemples de tracés géométriques
presque parfaits. Il suffit de regarder dans un microscope pour
s'en convaincre ; l'étude des cristaux, des cellules et des
tissus vous édifiera sur ce point. Fiais il s'agit lu
de formes peu étendues où les actions moléculaires
atteignent une puissance énorme. Soit, alors adressez-vous
au géologue et à l'astronome. Le premier vous montrera
des schistes, des basaltes et autres formations pétrographiques
d'une régularité aussi parfaite ; le second vous invitera
à contempler le disque de la pleine Lune, on vous serez tout
étonné de constater des rainures et des rayonnements
s'étendant en ligne droite sur des centaines et même
des milliers de kilomètres d'étendue. Si la croûte
superficielle de Mars s'est refroidie brusquement, sous l'influence
de circonstances très faciles à admettre, si de plus,
l'érosion n'a pas eu le temps de faire disparaître
ou d'atténuer les cassures ainsi formées, la planète
doit nous présenter un aspect fort différent de la
Terre et qui rappellerait volontiers les dessins originaux de Lowell.
Avant de soutenir la thèse de l'artificialité des
canaux, il faudrait donc être assuré, non seulement
de leur existence objective, mais de l'impossibilité de leur
formation par des causes naturelles et purement géologiques.
Reste à expliquer la circulation aqueuse et la vague de végétation
envahissant la planète du pôle à l'équateur.
L'hypothèse américaine est-elle la seule à
nous donner la clef de ce mystère apparent ? C'est ce qu'il
faut examiner de plus près. Avant toutefois d'aborder
franchement la question, il est nécessaire de faire porter
notre enquête sur des points destinés à nous
éclairer dans ce labyrinthe en apparence fort compliqué.
Cette digression ne sera pas perdue. elle me fournira l'occasion
de vous dire comment j'imagine le monde martien, sa climatologie,
sa constitution et sa météorologie fort différentes
de la nôtre. Pouvons-nous d'abord avoir une idée
de la densité de l'atmosphére entourant notre voisine
? Oui sans aucun doute, en raisonnant par analogie. Mars
est un monde plutôt petit, comparé notre globe.
Précisons les données fournies déjà
précédemment. Avec un diamètre de 6800 kilomètres
seulement Mars nous présente un volume environ 7 fois plus
petit que la Terre. L'attraction qu'il exerce est donc aussi plus
faible et comme sa densité n'atteint, pas la nôtre,
il ne faudrait pas moins de 10 globes aussi pesants que lui pour
contrebalancer celui de la Terre. Le calcul indique que la pesanteur
y serait diminuée dans le rapport de 1 à 0,380. Autrement
dit, une masse quelconque, suspendue à un peson à
ressort et accusant un poids de 1000 grammes ne marquerait plus
que 380 grammes sur notre voisine. Si donc notre atmosphère
entourait Mars, la pression au niveau moyen du sol ne serait pas
de 760 millimètres, mais de 285 seulement. Pour la même
raison, cette atmosphère, moins comprimée que chez
nous, occuperait une hauteur plus considérable et la densité
de la couche gazeuse diminuerait moins rapidement due chez nous.
Cette hypothèse est évidemment à côté
de la vérité ; nous n'avons pas, en effet, de raisons
de supposer que la planète, dans sa formation, a retenu une
atmosphère aussi volumineuse que la nôtre. Admettons
qu'à l'origine les enveloppes gazeuses étaient proportionnelles
aux globes des planètes, celle de Mars a donc été
toujours plus faible en volume. La conclusion précédente
subsiste alors tout entière et il suffira, dans ces conditions
nouvelles, de rechercher par le calcul la densité la plus
grande qu'a pu posséder l'atmosphère de Mars au moment
où la planète était dans titi état correspondant
au nôtre. Les résultats sont dignes d'être
enregistrés. Nous voyons d'abord que sur la l'erre il
faut s'élever à 5540 mètres pour voir diminuer
de moitié la pression atmosphérique. A cette altitude,
nos baromètres enregistreurs ne marquent plus que 38o millimètres.
Pour obtenir le r/8 de la pression, il faut aller à une hauteur
de 16620 mètres et notre baromètre marque 95 millimètres
seulement. Sur Mars, il faudrait s'élever de 42 kilomètres
pour obtenir une diminution de 1/8 de la pression constatée
au sol. Ces chiffres intéressants sont encore moins suggestifs
que ceux fournis par la comparaison des pressions au niveau de la
mer. Alors qu'ici, nos baromètres y marquent en moyenne
76o millimètres, le calcul nous indique qu'à la surface
de Mars, la densité de l'atmosphère n'est que le 1/7
de la nôtre, et la colonne barométrique atteindrait
à peine 110 millimètres. Si maintenant, d'accord
avec M. Lowell, nous admettons que Mars, plus petit que la Terre,
est dans un état plus avancé de condensation, que
ce modeste monde déjà décrépit a dû
absorber une partie de son enveloppe gazeuse - et toutes les observations
s'accordent à le montrer - il nous faut encore diminuer les
chiffrés précédents et arriver à cette
conclusion que tout compte fait il ne peut exister sur Mars qu'une
atmosphère 12 fois plus raréfiée que la nôtre.
Cette légèreté relative va se traduire immédiatement
par ce résultat définitif auquel nous sommes forcément
conduits. A la surface de Mars, la pression évaluée
par une colonne de mercure n'atteint pas use valeur supérieure
à 64 millimètres : c'est la pression qui correspond
sur la Terre aux régions situées à 20 kilomètres
environ au-dessus du sol ; jamais être humain n'a pu, en ballon,
dépasser 11 kilomètres, à plus forte raison,
ne pourrions-nous résister à une telle raréfaction
de la couche atmosphérique. L'oxygène, dans ces
hauteurs, y est si parcimonieusement distribué que ce gaz,
nécessaire à l'existence, ne saurait entretenir la
vie d'un être assez élevé dans l'échelle
animale. Que des plantes puissent subsister dans un tel milieu,
la chose n'est peut-ètre pas impossible, mais il serait aussi
antiscientifique de nier le fait que de l'affirmer. Dans l'état
actuel de notre science, les changements constatés sur Mars,
sont évidemment saisonniers et nous essayons de les expliquer
par des phénomènes de végétation. Telle
,est, du moins pour nous, la meilleure hypothèse ; cela ne
veut pas dire qu'elle est la seule et la vraie. Peut-être
un jour viendra où nous en trouverons une autre, car, à
vrai dire, celle que nous avons imaginée soulève plus
d'une difficulté. Quoi qu'il en soit, continuons nos
déductions et cherchons maintenant à nous rendre compte
des conditions climatologiques amenées sur la planète
Mars par cet état de raréfaction de son enveloppe.
En faisant subir aux résultats donnés par la loi de
Stéfan les corrections indiquées par l'expérience,
j'ai montré, à différentes reprises, qu'il
faut admettre pour la surface de Mars une température de
37 degrés au-dessous de zéro. Mais ce n'est là
qu'une moyenne et il faut bien qu'il en soit ainsi ; autrement nous
serions dans l'impossibilité de concilier le calcul avec
l'expérience. A chaque opposition, en effet, nous assistons
à la fusion complète des neiges polaires et tout contribue
à nous indiquer pour Mars une température plus élevée
que celle à laquelle aurait droit la planète, en tenant
compte seulement de sa distance au Soleil. Ici encore l'analogie
va nous répondre. Mais il faut distinguer entre la température
de l'air et celle du sol. Etant données les températures
extrêmes observées sur la Terre, voici les conclusions
auxquelles je suis arrivé. A l'équateur de Mars
la moyenne serait de 23 degrés au-dessous de zéro,
tandis que le maximum atteindrait facilement la température
de la glace fondante et la dépasserait même de quelques
degrés. Aux pôles, le maximum serait de 36°
et la température minima descendrait à plus de 100
degrés au-dessous de zéro. Mais ceci ne nous indique
aucunement la chaleur du sol, souvent trés supérieure
à celle de l'atmosphère. Dans sa mémorable
expédition vers le pôle Nord, Nansen a constaté
qu'un thermomètre exposé au Soleil sur un traîneau
marquait 31°,5 audessus de zéro alors que la température
de l'air était de 11 degrés au-dessous du point de
congélation, soit une différence de plus de 42 degrés
centigrades. Sur Mars, dans les régions polaires, la
température du sol peut donc dépasser 5 degrés
au-dessus de zéro, ce qui est suffisant pour fondre la neige
tombée. Mais à l'équateur, le sol s'échauffe
bien davantage et il n'est pas téméraire d'avancer
qu'un thermomètre y pourrait monter à + 16 degrés
centigrades. Ces chiffres, loin d'être exagérés,
ne tiennent pas compte de la faible densité de la pression
atmosphérique qui favorise l'accès des rayons solaires,
mais qui, par contre, tend à augmenter le rayonnement nocturne.
Les variations thermométriques y sont donc très accentuées
et entre la température du jour qui pourrait atteindre +
30 degrés et celle de la nuit, les différences doivent
être considérables, et de l'ordre de 100 degrés
centigrades. C'est là un régime détestable
pour l'entretien de la vie, mais si nous admettons que celle-ci
est surtout influencée par la température maxima,
nous pourrions, à la grande rigueur, admettre de ce chef,
la possibilité de l'existence d'êtres organisés
végétaux ou animaux inférieurs. Un autre
facteur, dont nous n'avons pas tenu compte, pourrait bien opérer
dans le même sens et augmenter, la chaleur moyenne en s'opposant
à la perte par rayonnement. Placez un récipient
rempli d'eau sous la cloche d'une machine pneumatique : dés
que la pression diminue, l'eau ne pourra plus demeurer à
l'état liquide et si la cloche offre un volume suffisait,
tout se convertira en vapeur. Or, c'est précisément
ce que j'ai observé sur Mars dès 1905. Le ciel
martien n'est donc pas aussi pur qu'on s'était plu à
l'affirmer ; alors que M. Lowell prétendait qu'aucun nuage
ne venait l'assombrir, j'assistais à différentes reprises
à la formation de brumes et brouillards assez denses pour
cacher de notables parties de la planète. Depuis,
certains observateurs ont confirmé ces constatations et en
1909 j'ai noté des brumes ayant persisté pendant des
semaines entières. On comprend que dans ces conditions,
il ne puisse subsister de grandes masses d'eau à la surface
de la planète ; cette substance, toute convertie en vapeur
dans la journée, doit donc accumuler la chaleur latente en
de fortes proportions. Mais le froid brusque de la nuit doit amener
immédiatement des brumes et des brouillards. Et c'est précisément
ce que nous observons sur les bords de la planète, c'est-à-dire
au soleil levant ou au crépuscule. Un froid plus rigoureux
précipite la vapeur d'eau en flocons de neige ou la fait
se déposer sous forme de gelée blanche ; différentes
régions semblent même en être couvertes d'une
façon continue ; ce sont, sans doute, de hauts plateaux.
Les neiges polaires elles-mémes ne sauraient atteindre une
forte épaisseur, car la considération d'un été
deux fois plus long que le nôtre ne pourrait expliquer la
fonte parfois complète des calottes polaires. Au pôle
Nord de la Terre, dans l'Inlandsis du Groenland, les sondages faits
par Nansen ont, en effet, montré que les plus fortes journées
d'été ne peuvent produire une fusion notable de la
couche neigeuse. Dans les régions tempérées
ou tropicales de Mars, l'eau saturant l'atmosphère doit,
pendant la nuit, se déposer sous forme de rosée très
abondante, et c'est probablement la seule manière dont les
plantes, si elles existent, s'alimentent de cette substance indispensable
à la vie organique. Le Soleil ne parvient pas toujours
à dissiper les brumes formées pendant la nuit. Nous
avons vu combien les brouillards sont abondants sur la planète
et quelle étendue ils recouvrent. Cette présence de
brumes persistant parfois plusieurs jours pourrait nous fournir
une hypothèse plausible de la gémination. Quoi d'étonnant,
en effet, que vers l'automne de la planète, les grandes vallées
soient envahies par des brouillards que la radiation solaire, trop
faible alors, serait impuissante à dissiper ! Ces brumes,
accumulées dans les bas-fonds, laisseraient à découvert
les flancs plus élevés, dont la végétation
n'aurait pas encore entiérement disparu et qui nous apparaîtraient
comme deux traits grossièrement parallèles. C'est
l'explication la plus simple de la gémination, si tant est
que ce phénomène existe réellement. De même,
les canaux blancs visibles sur les grandes étendues sombres,
improprement appelées mers, n'auraient pas d'autre origine.
Sans vouloir viser à la prétention d'expliquer entièrement
ce que l'on est convenu d'appeler " l'énigme martienne
" , il me semble que ces quelques considérations sont
de nature à jeter un certain jour sur les faits dûment
constatés. Cette absence de masses d'eau importantes
à la surface de la planète se concilie déjà
fort mal avec les idées de M. Lowell. Par quel procédé
les Martiens pourraient-ils empêcher l'évaporation
ou capter la vapeur d'eau résultant de la fonte des neiges
pour la liquéfier et la répandre sur tout un hémisphère
dans les gigantesques canaux creusés pour la recevoir ?
Et cependant, telle est la thèse soutenue par M. Lowell.
Voilà sur quelle base aussi fragile repose toute la question
de l'artificialité des canaux. Si nous admettons qu'une
vie végétale fort rudimentaire et appropriée
à ce climat polaire désertique subsiste encore à
la surface, si de plus ces végétaux analogues peut-être
à nos musses et à nos lichens, puisent dans l'atmosphère
saturée de vapeur, l'eau de constitution nécessaire
à leur maigre existence, point n'est besoin de recourir à
des irrigations artificielles amenant un liquide du pôle à
l'équateur. Sur Mars, nous l'avons vu, les saisons ont
une durée deux fois plus grande que chez nous. Que se
passe-t-il alors au cours d'un long été boréal
par exemple ? Dès que le pôle arctique s'incline
vers le Soleil, la fusion de la calotte polaire commence, la neige
se transforme aussitôt en vapeur d'eau qui sature l'atmosphère.
Mais tandis que les régions des basses latitudes sont soumises
aux alternatives du jour et de la nuit, de la chaleur et du froid,
les contrées polaires, sans cesse exposées aux rayons
du Soleil, deviennent les parties les plus chaudes de la planète.
Elles forment donc une cheminée d'appel pour les couches
d'air plus froides. De là des vents relativement violents
accourant vers ce centre thermique pour remplacer les couches échauffées
dont l'ascension entraîne la vapeur d'eau récemment
libérée. Pendant que ces alizés - donnons-leur
ce nom - se saturent à nouveau, les contre-alizés
vont répandre au loin les molécules liquides dont
ils sont chargés ; le mécanisme de cette circulation
spéciale produit donc l'effet d'une tache qui s'agrandit
; peu à peu la vapeur d'eau envahit de proche en proche les
latitudes voisines de l'équateur et favorise ainsi les phénomènes
de la végétation Suivant la saison et l'activité
solaire variable, la chaleur reçue augmente ou diminue ;
là-bas comme chez nous, les années ne se ressemblent
pas et l'extension des plantes est soumise aux mêmes variations.
Tout ceci d'ailleurs, est parfaitement conforme à l'observation
et nous aide à comprendre les aspects singuliers souvent
périodiques des grandes taches vertes variables en étendue
à chaque opposition. Et notez en passant qu'un phénomène
chimique lié à l'état hygrométrique
d'une substance, produirait les mêmes résultats. Encore
une fois. la végétation dans l'état actuel
de nos connaissances paraît tout expliquer, ce n'est cependant
pas une raison pour l'admettre comme une vérité démontrée.
Pour sérieuse qu'elle soit, l'hypothèse n'est pas
la seule possible. Arrêtons ici ces considérations
et résumons-nous. Les faits que nous connaissons positivement
rendent probable l'opinion que Mars est essentiellement une planète
couverte de glace, entourée par une atmosphère élevée,
mais de densité et de pression légères ; une
terre soumise à de grandes alternatives de température
produisant la glaciation pendant la nuit et une fusion avec évaporation
pendant le jour. La circulation atmosphérique doit donner
naissance à des vents assez violents puisqu'ils sont capables
de transporter dans les couches d'air élevées des
nuages de poussières parfois visibles dans nos instruments.
Ce sont ces nuages brillants que certains astronomes avaient présentés
comme de véritables signaux de feu lancés par les
Martiens à leurs frères de l'espace. Cette circulaion
toutefois, se traduit plus fréquemment par le transport de
la vapeur d'eau d'un jour à l'autre vers le bord du disque
du côté du Soleil et le transport encore plus important
de cette même vapeur d'eau du pôle exposé au
Soleil vers les régions tropicales. Un séjour,
même de courte durée, dans ce climat désertique
par excellence, n'a donc rien qui puisse tenter les représentants
de l'humanité terrestre et si des êtres pensants ont,
autrefois, habité ce séjour, à moins d'admettre
une incroyable faculté d'adaptation à un milieu aussi
inhospitalier, il y a beau temps que la vie animale, dans ses manifestations
supérieures au moins a disparu pour toujours de cette planète
où le froid règne en maître absolu.
Mars nous présente l'état intermédiaire
entre la Terre et la Lune, et les phénomènes auxquels
nous assistons de loin ne sont probablement que les dernières
manifestations d'une vie qui s'éteint.
Lentement, bien lentement, le temps a fait son oeuvre ; c'est
l'anesthésie par le froid, celle qui endort les mondes et
les achemine doucement vers la mort.
(1) Revue Générale des Sciences
30 Novembre 1906 : "La planète Mars d'après les
travaux récents" par l'Abbé Th. Moreux.
Le nom de l'Abbé Th.Moreux a été
donné à un cratére martien situé long
315 et latitude +42
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