L'Inca de Mars - 1977 - The martian inca


 Extrait du roman

PIONNIER était à cinquante millions de kilomètres de la Terre. C'était le cinquième mois de vol. L'officier chargé des communications à Houston enclencha le commutateur principal pour appeler le vaisseau.
Deux minutes et demie plus tard, un voyant jaune clignota sur la radio de bord, et une forte sonnerie résonna dans l'anneau de la partie habitée de Pionnier.
Ce n'était pas assez pour réveiller le Commandant Jim Weaver, qui flottait dans un léger sac de couchage, arrimé à la couchette de sa cabine individuelle. Pour dormir, Jim Weaver portait des oreillettes.
Le pilote Wally Oates et le scientifique de l'expédition, Eugène Silverman, levèrent la tête de leur jeu de Go magnétique, mais aucun des deux n'alla répondre. Leur partie en était arrivée à une impasse de pions noirs et blancs. Chacun tenait l'autre en échec. Si aucun des deux ne cédait, ou n'abandonnait la position, un processus d'échange de pions pourrait se dérouler pendant toute l'heure suivante, sans rien changer. Jusqu'à ce que tous les pions soient pris et que le combat cesse, faute de combattants.
" J'y vais ", dit finalement Silverman, avec un haussement d'épaules. Wally Oates garda les yeux rivés sur le Go-Ban. Il n'était pas le moins du monde fasciné par les motifs qu'y dessinaient les pions. Ça c'était bon pour Silverman. Car pour quelqu'un qui avait passé des heures d'affilée devant des consoles de T.V. à se battre à Mach 1,5 avec des vietkhmers, par avions télécommandés interposés, un labyrinthe de pions de Go n'était qu'un jeu d'enfant. Sans compter qu'il avait été le seul jet jockey de toute l'Air force à avoir réellement piloté un F15 au cours d'un combat contre trois de ces avions télécommandés. C'était il y a dix ans, les premiers engagements pour la défense de l'isthme de Kra. Il avait encaissé 7 G, sans se tromper dans la lecture de ses instruments, malgré toutes les taches qui dansaient devant ses yeux.
" Pionnier à Houston, on vous écoute. "
Maintenant il fallait attendre. Et deux minutes et demie c'est très long. Presque le temps qu'il faut pour un oeuf à la coque. D'ailleurs, Wally Oates avait un sablier dans ses bagages. Il avait l'intention de le remplir de sable martien, s'il pouvait trouver un sable ni trop pulvérisé, ni trop oxydé, pour s'écouler malgré l'absence d'air dans le sablier. Désinvolte, Silverman avait suggéré qu'ils s'en servent pendant leurs communications radio. Le vrai dialogue avec la Terre était interrompu depuis longtemps. Il n'y avait plus de conversation, juste des paquets de mots. Ils avaient l'impression d'être des secrétaires à qui l'on dicte un texte, et qui ensuite relisent ce qu'on leur a dicté.
"  Pionnier, ici Capcom Houston. Il y a une heure, les .Russes nous ont prévenus qu'ils avaient perdu le contrôle de Zayits. Ils n'arriveront pas à le faire atterrir en douceur chez eux. Une explosion à bord probablement, au cours des manoeuvres de rentrée dans l'atmosphère. Mais ça, ils ne le disent pas. Le Centre de détection du grand espace pense que Zayits tombera quelque part en Amérique du Sud. Si le parachute s'ouvre comme prévu, il a encore une chance d'arriver en un seul morceau. "
Même s'il y arrive, on peut difficilement dire qu'ils nous ont coiffés au poteau. On ne peut pas mettre sur le même plan quelques pelletées de terre et une expédition humaine. Je ne sais pas pourquoi ils se sont donné la peine d'envoyer Zayits ? Par dépit ?

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