Extrait
du roman
PIONNIER
était à cinquante millions de kilomètres de la Terre.
C'était le cinquième mois de vol. L'officier chargé
des communications à Houston enclencha le commutateur
principal pour appeler le vaisseau. Deux minutes
et demie plus tard, un voyant jaune clignota sur la
radio de bord, et une forte sonnerie résonna dans l'anneau
de la partie habitée de Pionnier. Ce n'était pas
assez pour réveiller le Commandant Jim Weaver, qui flottait
dans un léger sac de couchage, arrimé à la couchette
de sa cabine individuelle. Pour dormir, Jim Weaver portait
des oreillettes. Le pilote Wally Oates et le scientifique
de l'expédition, Eugène Silverman, levèrent la tête de
leur jeu de Go magnétique, mais aucun des deux n'alla
répondre. Leur partie en était arrivée à une impasse
de pions noirs et blancs. Chacun tenait l'autre en échec.
Si aucun des deux ne cédait, ou n'abandonnait la position,
un processus d'échange de pions pourrait se dérouler
pendant toute l'heure suivante, sans rien changer. Jusqu'à
ce que tous les pions soient pris et que le combat cesse,
faute de combattants. " J'y vais ", dit
finalement Silverman, avec un haussement d'épaules.
Wally Oates garda les yeux rivés sur le Go-Ban. Il n'était
pas le moins du monde fasciné par les motifs qu'y dessinaient
les pions. Ça c'était bon pour Silverman. Car pour quelqu'un
qui avait passé des heures d'affilée devant des consoles
de T.V. à se battre à Mach 1,5 avec des vietkhmers,
par avions télécommandés interposés, un labyrinthe de
pions de Go n'était qu'un jeu d'enfant. Sans compter
qu'il avait été le seul jet jockey de toute l'Air force
à avoir réellement piloté un F15 au cours d'un combat
contre trois de ces avions télécommandés. C'était il
y a dix ans, les premiers engagements pour la défense
de l'isthme de Kra. Il avait encaissé 7 G, sans se tromper
dans la lecture de ses instruments, malgré toutes les
taches qui dansaient devant ses yeux. " Pionnier
à Houston, on vous écoute. " Maintenant il fallait
attendre. Et deux minutes et demie c'est très long.
Presque le temps qu'il faut pour un oeuf à la coque.
D'ailleurs, Wally Oates avait un sablier dans ses bagages.
Il avait l'intention de le remplir de sable martien,
s'il pouvait trouver un sable ni trop pulvérisé, ni
trop oxydé, pour s'écouler malgré l'absence d'air dans
le sablier. Désinvolte, Silverman avait suggéré qu'ils
s'en servent pendant leurs communications radio. Le
vrai dialogue avec la Terre était interrompu depuis
longtemps. Il n'y avait plus de conversation, juste
des paquets de mots. Ils avaient l'impression d'être
des secrétaires à qui l'on dicte un texte, et qui ensuite
relisent ce qu'on leur a dicté. " Pionnier,
ici Capcom Houston. Il y a une heure, les .Russes nous
ont prévenus qu'ils avaient perdu le contrôle de Zayits.
Ils n'arriveront pas à le faire atterrir en douceur
chez eux. Une explosion à bord probablement, au cours
des manoeuvres de rentrée dans l'atmosphère. Mais ça,
ils ne le disent pas. Le Centre de détection du grand
espace pense que Zayits tombera quelque part en Amérique
du Sud. Si le parachute s'ouvre comme prévu, il a encore
une chance d'arriver en un seul morceau. " Même
s'il y arrive, on peut difficilement dire qu'ils nous
ont coiffés au poteau. On ne peut pas mettre sur le
même plan quelques pelletées de terre et une expédition
humaine. Je ne sais pas pourquoi ils se sont donné la
peine d'envoyer Zayits ? Par dépit ?
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