TROIS ANS APRÈS VAMPIRES, JOHN CARPENTER RESTE DANS LE ROUGE. PAS DANS LE ROUGE SANG DONT S'ABREUVAIENT LES DESCENDANTS DE DRACULA, MAIS DANS CELUI DE LA SURFACE DE MARS, LA PLANÈTE DE TOUS LES MYSTÈRES. CELLE OÙ LE CINÉASTE DE L'ANTRE DE LA FOLIE ET DE THE THING AGITE LES FANTÔMES DUNE CIVILISATION ÉTEINTE. OU PRESQUE...

Inquiet, John Carpenter pourrait l'être et à juste titre d'ailleurs. Achever Ghosts of Mars alors que Mission to Mars et Planète rouge sont sortis sur les écrans depuis un moment pourrait franchement l'angoisser.
Le réalisateur de Halloween et de Vampires affiche néanmoins la plus grande sérénité. "S'il est vrai que les trois films se déroulent sur Mars, le mien n'a rien à voir avec ses prédécesseurs. En premier lieu parce qu'il ne met pas en scène des astronautes allant a la découverte d'une planète inconnue. Vous n'y trouverez pas de scènes comme l'atterrissage d'une capsule spatiale. Sur le Mars de mon film, l'air est respirable, il a été "terraformé". C'est finalement un cadre assez proche de celui de la Terre:' Et le cinéaste d'ajouter que, de toute manière, l'échec commercial (relatif) de Mission to Mars, puis celui (cuisant) de Planète rouge ne l'affectent guère. Même s'il ne l'exprime pas explicitement, son indifférence à l'encontre des expéditions martiennes de Brian De Palma et d'Anthony Hoffman saute aux yeux. Pourquoi ? "Ghosts o( Mors gent autant. sinon plus, du film de fantômes que de la science-fiction classique. En résumé, il s'agit d'une sorte de western situé sur une autre planète." Et pourquoi Mars ? "Mars, c'est un mythe, un mystère, une énigme dans l'inconscient collectif. Mars, c'est également le dieu de la Guerre de la mythologie gréco-romaine, le sang des combattants. Et puis Mars se trouve si proche de la Terre que l'on peut aisément imaginer qu'elle sera un jour colonisée par les humains. Trois bonnes raisons pour y situer ce scénario, mène si d'autres films s'y sont récemment déroulés .

PLANETE PEAU-ROUGE
"Ghosts of Mars se réfère surtout au western hollywoodien", précise le cinéaste. "Bon, d'accord, il y a un peu des séries B de science-fiction que j'ai vues quand j'étais gosse, des trucs comme Angry Red Planet par exemple. mais mon inspiration vient surtout des plaines du Far West."
Anachronique ? Déplacé ? Pas du tout. Depuis ses premiers films. John Carpenter ne cesse de revendiquer l'héritage d'Howard Hawks, de Rio Bravo... Que ce soit dans Assaut, New York 1997 et Vampires, le réalisateur aime à reprendre les clichés, les accessoires et les situations d'un genre pour les greffer sur un autre.
Et, effectivement, Ghosts of Mars posséde des allures de western, du moins de ceux qui décrivent l'eclosion des Etats-Unis d'Amérique à l'occasion de la conquête de l'Ouest ou de la ruee vers l'or. Même peinture d'un monde naissant dans la violence et l'anarchie, et abandonné à la cupidité et aux bas instincts de ses pionniers. Mènes pionniers violents, hirsutes et acharnés à prendre possession d'une contrée et à effacer toute trace des précédents locataires des lieux.
Richard Cetrone Les  extraterrestres sont les Indiens de Ghosts of Mars, à la seule différence qu'ils n'attaquent pas les diligences, mais que leur esprit vengeur rôde dans le secteur, dans l'attente d'une revanche saignante. Une menace comparable à la civilisation disparue des Krel de Planète interdite. "J'adore ce film. C'est même un de mes préférés ! Je l'ai vu alors que j'avais à peine 8 ans. II est vrai que, dans un sens, Ghosts of Mars en est le remake. Je n'y avais pas pensé jusqu'ici:' Peut-être a-t-il davantage pensé aux Monstres de l'espace, signé Roy Ward Baker ? Dans ce classique de la science-fiction britannique, un savant découvre dans les entrailles du métro de Londres les spectres de martiens diaboliques à l'origine de l'éveil de l'intelligence sur Terre. Le savant en question se nommant Martin Quatermass et John Carpenter ayant écrit le scénario du Prince des Ténèbres sous le même nom, ses sources d'inspiration apparaissent comme des évidences.

LES SALAUDS DE SON COEUR
En dépit de l'influence inconscience de "Planète interdite", film lui-même sous la coupe de "La Tempête" de Shakespeare, le Mars de 2176 s'inspire directement de l'Ouest américain des années 1800. On y trouve même des mines, des shérifs ripoux. des trains, des canyons, des saloons, des bagarres et un confortable pourcentage de salauds au mètre carré. Tout "héros" de Ghosts of Mars qu'il soit, Desolation Williams (Ice Cube)en est un.

Ice Cube ,second à droite aprés Joanna Cassidy

"Un type de la trempe du Snake Plissken de New York 1997 et du Napoleon Wilson d'Assaut", précise un John Carpenter heureux de faire l'inventaire des exploits de son personnage. Attaques de banques, trafic de drogue, meurtres sur commande, extorsions... Un casier plus long que le bras à l'actif du criminel le plus recherché de Mars, à la fois repris de justice et macho fier de l'être. La coupe est pleine, et John Carpenter rit d'avoir à ce point chargé le personnage. "J'avoue que, sur le papier et à l'écran, de pareils bonshommes m'attirent, me fascinent. Ils me permettent en fait de me libérer d'une partie de mon agressivité, d'explorer mon côté obscur. Hé oui, autant Snake Plissken que Desolation Williams sont des extensions de ma propre personnalité. En clair, plutôt que de casser la gueule aux gens dans la vie, je le fais dans mes films !"
Natasha HenstridgeAussi important que soit Desolation Williams dans Ghosts of Mars, ce n'est pas tout à fait lui le héros n°1 du film. II s'agit en fait de Melanie Ballard, une femme flic en poste sur la planète pour quatre ans. Nostalgique de la Terre, elle fume de l'opium et collectionne les aventures purement sexuelles histoire de passer le temps dans l'attente de la quille. Un rôle que l'on imagine fort bien tenu par Natasha Henstridge, l'alien sexy de La Mutante et l'ex-femme de Brute Willis dans Mon voisin le tueur. Parachutée à la dernière minute sur le plateau du film, elle n'aura finalement fait que jouer les roues de secours en remplaçant au pied levé une Courtney Love victime d'une fracture de la jambe à l'entraînement. "Une situation très délicate à gérer", intervient John Carpenter. "A ce stade, nous nous sommes demandés s'il était préférable de tout arrêter ou
de trouver une autre comédienne. Pas facile, dans la mesure où nous étions vraiment à quelques jours des premières prises de vues. Dans l'urgence, nous avons envisagé plusieurs actrices avant de choisir Natasha"... au lieu de Michelle Yeoh ou de Famke Janssen. Parce qu'elle est blonde comme Courtney Love ? "Pas du tout. C'est d'abord une comédienne que j'apprécie beaucoup et qui, jamais ou presque, n'a été employée â sa juste valeur. Ensuite parce qu'elle possède une vraie présence physique, une réelle autorité naturelle... En fait, je suis très satisfait de la tournure que les choses ont prise..:"
Encore que Ghosts of Mars n'en était pas à un pépin près. Sous prétexte d'un montage financier difficile malgré un budget très raisonnable de trente millions de dollars, le film attend son feu vert pendant des mois.
"Finalement, ce qui posait un problème au départ est devenu un avantage. Larry Sulkis et moi avons profité des retards dans la pré-production pour améliorer le scénario. D'un script linéaire qui ne fonctionnait pas vraiment, nous sommes arrivés à un récit éclaté entre une action immédiate et des flashes-back. Ce qui donne à Ghosts o( Mars un petit côté expérimental:' Aspect très relatif tout de même dans ce tableau que John Carpenter appelle " L'Alamo de l'espèce humaine". Alamo pour le siège d'un fortin par les colons sous l'emprise des fantômes martiens, situation d'encerclement que le cinéaste affectionne. Ne s'en est-il pas déjà servi dans Assaut, The Thing et Le prince des Ténèbres ?
LA CITÉ DES FEMMES
Ghosts of Mars, c'est également l'opportunité pour John Carpenter de diriger un film moins machiste que ses précédents, à l'exception de Halloween, mais c'était il y a bien longtemps. "Peur des comédiennes ? Non ! Mais si j'ai mis en scène assez peu d'actrices, c'est vrai qu'en plus, elles ont surtout tenu dans mes films des rôles secondaires..:" Dans le nouveau, elles comptent au moins autant que les hommes. Sinon plus, avec, outre Natasha Henstridge, Pam Grier (Jackie Brown en personne), Joanna Cassidy (la répliquante stripteaseuse de Blade Runner), la plus jeune Clea DuVall (l'une des étudiantes de The faculty) et Wanda De Jesus.

L'attaque de la colonie

"La présence massive des femmes dans le film s'explique par le fait que la colonie sur Mars est ici une société matriarcale, c'est-à-dire une société dirigée par les femmes:" Ce qui permet au scénariste-réalisateur de sortir du carcan souvent trop aseptisé de la science-fiction. Sur le Mars de John Carpencer, 50 % des femmes sont bisexuelles, 30 % uniquement lesbiennes et les deux catégories fréquentent des bordels où elles peuvent se payer des partenaires des deux sexes. Ambiance torride et sanglante, dont le rouge cramoisi rappelle le cadre de cette aventure : "Bien que Ghosts of Mars se situe dans le registre de l'imaginaire, j'ai également tenu à une certaine authenticité scientifique dans la reconstitution de la planète. Nous avons longuement étudié des clichés de la NASA. Plutôt que de travailler en studio avec des filtres, nous avons opté pour un tournage au Nouveau Mexique, dans un endroit déjà très rouge à la base, puisqu'il s'agissait d'une mine de gypse, un minerai qui donne l'illusion parfaite d'un sol martien." Un sol bien aride, poussiéreux, empli de caillasses, bref un sol de western...

John Carpenter dans la mine de gypse au Nouveau-Mexique

Au moins autant que sa passion pour le western, Ghosts o( Mars marque donc la fidélité de John Carpenter au fantastique et à la science-fiction. Dans sa filmographie, très peu de titres se détachent vraiment des deux genres. On dénombre juste deux vrais westerns ("El Diablo" et "Blood Rivera", des téléfilms produits et écrits par ses soins), une biographie télévisée d'Elvis Presley, un thriller ("Meurtre au 43' étage", encore pour la télévision)... En bientôt trente ans de carrière, le cinéaste n'a pratiquement jamais changé son fusil d'épaule. "Que Wes Craven fasse un mélo comme "La musique de mon cœur", grand bien lui fasse. Mais je ne vois pas pourquoi je passerais de sitôt à autre chose. Je suis plutôt bien là où je suis. Je ne crois pas que je m'éloignerais beaucoup de ce que j'ai fait jusqu'à présent si jamais il m'arrivait de pouvoir retenter ma chance ailleurs. Mais je reste toujours ouvert à toute possibilité !"
Y compris les propositions les plus lucratives et les moins fatigantes... Comme produire Vampires 2, une suite dont Carpenter confie les rênes de la mise en scène à un ex-collaborateur, Tommy Lee Wallace, déjà réalisateur de Halloween 3 sous son autorité. "Franchement, un Vampires 2 n'était absolument pas nécessaire. Mais rien ne l'est vraiment, à part manger, boire et dormir ! Si j'apporte ma caution à cette suite, c'est parce que le producteur du premier me l'a demandé. Et, pour être honnête, il  n'a pas été radin avec moi. En gros, je n'ai eu qu'à louer mon nom. Un boulot très simple et très bien rétribué. Et, à ce petit jeu, je suis hautement qualifié !" Un brin d'ironie grinçante et voilà que John Carpenter s'éclipse. II a encore beaucoup à faire sur Ghosts o( Mors : superviser les effets spéciaux, assembler les séquences... Et. comme à son habitude, composer lui-même la musique d'un film qui doit être prêt d'ici quatre mois.

© Marc Toullec Photos Neil Jacobs Tous droits réservés

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