Les Poules bleues de l'Automne
Les inondations,
la sécheresse, les tremblements de terre, la guerre atomique
ou bactériologique, une catastrophe écologique, autant
de possibilités de fin du monde que l'humanité s'était
imaginées pour se donner le grand frisson. Malheureusement
et j'en étais le témoin médusé, ce que
je voyais par la fenêtre de mon hôtel ne relevait plus
du roman de science-fiction mais bel et bien de la réalité
la plus vraie. Après mûre reflexion
Hélène et moi avions suivi les conseils de Beirstein
en venant nous présenter aux bureau de recrutement de l'Interstellar Corporation
de New-York. Paul avait tenu sa promesse, nos deux noms étaient
inscrits sur la liste des nouveaux colons. Je me disais que pour
une fois la chance nous avait souri mais je ne pouvais m'empêcher
de penser que la méthode était injuste vis-à-vis
des autres concurrents. Un concours était un concours et
j'étais bien placé pour le savoir. Combien de fois
je m'étais soulevé contre ces pratiques injustes où
l'on favorisait le médiocre en éliminant les gens
pleins de bonne volonté. Je ne me sentais pas médiocre,
quoiqu'à y penser il existait certainement des individus
plus motivés que moi. C'était vraiment sans conviction
que nous attendions le départ pour la Lune. De là
le grand saut qui nous conduirait jusqu'à destination. Je
me demandais ce que nous allions pouvoir faire sur Mars. Mars appartenait
à Mars et aux Martiens s'ils existaient. Même si les
Martiens n'étaient que des bactéries, ou de simples
algues, ce monde était le leur et l'homme ne serait jamais
qu'un intrus Surtout quand on voyait ce qu'il avait fait de sa planète.
D'un monde aux océans limpides et aux terres enchanteresses
l'humanité avait façonné un univers à
son image, un égout où comme le rat. l'homme se repaissait
de sa propre saleté. Et de la fenêtre de ma chambre.
je me sentais ce rat contempler les débris de notre monde.
Avec le réchauffement de l'atmosphère et la fonte
des pôles, la ville basse avait disparu sous les eaux. Ne
surgissaient des flots que la crête des immeubles les plus
hauts qui autrefois avaient été la gloire des architectes.
Des immondices sur l'eau, rien que des ordures que les vagues noires
rejetaient mollement contre les pontions. Juste à côté.
sur une langue de vase anthracite gisait la carcasse d'un dauphin.
Comment le pauvre animal avait-il peu traverser ce no man's land
pour venir s'échouer en ce lieu . Non, je ne me sentais
pas d'attaque à affronter Mars car je ne voulais pas que
cette planète subisse le même sort que la Terre. Mais
d'un autre côté, je n'avais plus rien a faire ici et
peut-être serais-je plus utile là-bas ? Peut-être
empécherais-je la folie des hommes de ravager un monde qui
ne demandait qu'à vivre. Pourquoi fallait-il toujours que
je me pose toutes ces questions ? Je ruminais sans cesse des idées
qui me faisaient plus de tort que de bien. Quelques
gouttes de pluie me tombèrent sur la main. Je ressentis une
étrange sensation de chaleur . Trés haut dansl'atmosphère
se formait de l'acide sulfurique. synthétisé à
partir du dioxide de soufre rejeté par les usines et la vapeur
d'eau contenue dans les nuages. Il pleuvait de l'acide sulfurique
sur New-York. Le brouillard couleur de bile s'étendait jusqu'à
l'horizon. New-York était devenu une véritable catastrophe
planètaire. L'immense tour de l'Interstellar
Corporation montait à l'assaut
du ciel du haut de son millier d'étages. Deux mille mètres
de béton et de verre au service du système solaire.
Quelle ironie. quelle grotesque mise en scène !
© Fréderic Darriet
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