Grandes Peurs au mitan du siécle par Patrick Brion*
De " péril rouge " en cataclysmes
atomiques, d'invasions d'extraterrestres en manipulations génétiques,
rien ne fut épargné aux pauvres humains en ces années
50. Et ce n'est pas le cinéma qui pouvait les rassurer
Dix ans après la soirée du
30 octobre 1938 qui vit Orson Welles terrifier l'Amérique
avec son adaptation de La Guerre des mondes, les Américains
ont toujours peur et chacun redoute de découvrir une soucoupe
volante dans son jardin et des petits hommes verts dans son salon.
A tel point que Gromyko, représentant de l'URSS à
l'ONU, se moque de cette psychose en déclarant à la
tribune de l'Assemblée : " On peut rendre les Anglais
responsables des soucoupes, ils exportent trop de whisky en Amérique
! On peut aussi penser qu'il y a simplement quelque part un Russe
qui s'entraîne pour les jeux Olympiques au lancement du disque
et qui ignore sa force..." Nettement moins ironiques,
les Etats-Unis ont pourtant des raisons d'avoir peur. Grâce
aux multiples espions dont la presse révéle la trahison,
l'URSS est désormais en possession de l'arme atomique qui
devait assurer la suprématie américaine et, en 1950,
la Corée du Nord franchit le 38e parallèle. Fidèle
reflet de l'Amérique, le cinéma hollywoodien des années
50 n'est pas rassurant. Le Choc des mondes (1951. Rudolph Mate)
montre que la Terre peut être détruite par un météorite
géant et que l'Arche de Noé moderne prévue
à cette occasion ne pourra emmener que quelques élus.
Lesquels ? Par ailleurs, plusieurs films racontent comment de dangereux
extraterrestres sont capables de prendre possession des corps et
des esprits des Terriens (Invaders From Mars, L'Invasion des profanateurs
de sépultures) ou tout simplement de les détruire
au moyen d'armes terrifiantes (La Guerre des mondes). Ces paraboles
ne manquent pas d'ambiguïté et, si certains voient dans
ce danger qui vient d'ailleurs un avertissement contre l'infiltration
communiste, d'autres pensent qu'il s'agit, à l'inverse, d'une
dénonciation des forces réactionnaires incarnées
par le sénateur Joseph McCarthy et ses partisans de la chasse
aux sorcières. Le Météore de la nuit, de
Jack Arnold, oppose, de son côté. des extraterrestres
pacifistes à des Américains moyens bellicistes et
décidés à les exterminer, alors que Les Survivants
de l'infini indique que les êtres venus d'ailleurs peuvent,
eux aussi, mourir, à l'image de leur planète, Metaluna,
condamnée à la destruction. La situation est de toute
manière assez grave pour que Dieu en personne se manifeste,
dans La Voix que vous allez entendre (1950, William Wellman), pour
ramener l'Amérique à la raison. Le propos du Jour
où la Terre s'arrêta est encore plus clair et les nations
terrestres reçoivent la visite d'un envoyé nommé
Klaatu (Michael Rennie), qui les menace de la destruction totale
si elles ne renoncent pas à la course aux armements. Le film
dénonce, face à la hauteur spirituelle de Klaatu,
personnage christique, l'incrédulité et la volonté
destructrice de l'armée américaine, prête à
faire usage d'une force rapidement dérisoire. Loin de
n'être - comme on l'a trop souvent dit - qu'une mise en garde
contre le " péril rouge ", le cinéma hollywoodien
de science-fiction de ces années-là s'interroge aussi
avec beaucoup d'inquiétude sur la recherche atomique en général.
Que découvre-t-on, en effet ? Une multitude d'animaux atteints
de proportions gigantesques : scorpions (Scorpion noir), crabes
(Attack of the Crab Monster), dinosaure (Le Monstre des temps perdus),
oiseaux (The Giant Claw), mantes (The Deadly Mantis), pieuvres (Le
monstre vient de la mer). L'homme lui-même n'est pas à
l'abri des expériences menées par des savants plus
ou moins inconscients et l'atome peut le rendre énorme (Le
Fantastique Homme colosse) ou finir par le diluer dans l'espace
(L'Homme qui rétrécit). La peur atomique ne se limite
pas à quelques bêtes géantes, et le constat
que dressent Five, Le Monde, la chair et le diable et Le Dernier
Rivage est identique,la Terre sera bientôt - très
bientôt - ravagée par un cataclysme atomique. Film
à redécouvrir, Le Monde, la chair et !e diable, de
Ronald Mac Dougall, montre un New York désert dans lequel
le héros, joué par Harry Belafonte, également
producteur, erre à la recherche d'un survivant. II est noir,
trouvera une blonde (loger Stevens) et un rival blanc (Mel Ferrer).
Le futur sera métis. Ce futur annoncé est proche de
celui de La Machine à explorer le temps, de Planète
interdite ou de La Planète des singes (tourné en 1967),
qui est tout aussi angoissant, l'homme risquant d'être asservi
par les Morlocs et réduit à l'état d'individu
sans personnalité, confronté à des monstres
nés de son propre inconscient ou dominé - juste retour
des choses ? - par des singes. Riche en
curiosités, ce bref panorama serait incomplet sans l'ahurissant
Red Planet Mars (1952), de Harry Horner, dans lequel on découvre
que les signaux émis de la planète en question citent
textuellement le sermon sur la montagne du Christ et provoquent
la destruction du communisme en URSS, les Russes se mettant à
déterrer les objets du culte chrétien et à
descendre les portraits de Staline...
P.B.
* Patrick Brion est directeur du cinéma
sur France 2/France 3 et créateur du Cinéma de minuit
CineMars 1903-1959 I
CineMars
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