Interview
Claire et Robert Belmas
20 / 10 / 2002

Question : Vous avez remporté le prix Alain Dorémieux 2000, qui a ceci d'original qu'il récompense des écrivains à l'avenir prometteur en les incitant à écrire leur premier roman dans l'année. Est-ce cela qui a déterminé votre écriture de Mars Heretica ou votre roman était-il déjà prêt ?
Réponse : L’ouvrage associé au Prix Alain Dorémieux est en fait le roman-mosaïque publié par Imaginaires Sans Frontières en 2001 : Chroniques des Terres Mortes. Nous y développons des thèmes qui nous sont chers : la désertification de l’espace rural et son corollaire, l’hypertrophie des mégalopoles et leur enkystement.
Mars Heretica est donc venu plus tard, indépendamment du prix, puisque ce roman est sorti fin août 2002, chez le même éditeur. Nous disposions déjà d’une mouture ancienne que nous avons remaniée et, pour tout dire, complètement réécrite, à la fois pour la remettre au goût du jour et pour l’adapter à notre projet du moment.

Q : Une fois que j'ai commencé à lire votre livre, j’ai voulu à tout prix aller jusqu'au bout pour en connaître la fin. Comment écrit-on un roman aussi accrocheur ?
R : De la manière la plus simple qui soit : en veillant avant tout à raconter une histoire qui mette en scène des personnages attachants dans une intrigue serrée. L’autre condition est de s’effacer derrière son sujet. Raconter une belle histoire n’est pas compatible avec faire l’intéressant (ce n’est pas nous qui l’avons dit !). 

Q : Pourquoi Mars comme cadre pricipal du roman ? Faut-il y voir une autre terre morte à rajouter à vos « Chroniques » ?
R : Entre Mars et nous, c’est une vieille histoire d’amour. Nous sommes nés au début des années cinquante au moment où déferlait une vague de « marsomanie » sans précédent. Tout le monde voyait des soucoupes volantes et les journaux se faisaient quotidiennement l’écho d’enlèvements par les « petits hommes verts ». Un tas de gens disparaissaient pour se retrouver hagards en pleine nature, quelques jours plus tard. Des soucoupes atterrissaient au fond du jardin. Nous en parlions souvent en famille, le soir à la veillée. C’était merveilleux et autrement plus fascinant que la télé. Il devait inévitablement en rester quelque chose.
L’aspect désertique de Mars a certainement joué un rôle dans cette passion. Au cours de nos randonnées, nous recherchons, de préférence les endroits caillouteux et dégagés, les grandes perspectives qui distillent un sentiment d’infini. Le paysage idéal, pour nous, c’est une ligne horizontale sur l’horizon. À voir dans une autre vie peut-être, mais on trouve quelques bonnes approximations sur Terre. Du côté des Grands Causses, par exemple.

Q : Votre roman est-il vraiment une forme d'hommage aux auteurs que vous citez en dédicace (Wul, Bruss et tous ceux qui ont enflammé votre imagination dans votre jeunesse), ou une parodie ironique ?
R : Loin de nous l’idée de la moindre ironie. Nous avons découvert la science-fiction grâce à la collection Anticipation du Fleuve Noir et nous conservons un souvenir ému du plaisir que nous ont procuré ces maîtres de l’imaginaire. C’est bien d’un hommage qu’il s’agit ici, même si, pour tenir compte de l’évolution des modes et des sujets littéraires, nous avons suggéré dans l’épigraphe un indispensable second degré.

Q : Vous débutez votre roman par une plongée dans une mégalopole hyperpolicière sur une Terre exsangue à cause de la pollution. Est-ce votre vision écologique de l'avenir ? Mars nous paraît à côté bien plus agréable.
R : Nous sommes par tempérament assez pessimistes. C’est une caractéristique qui se retrouve déjà dans nos Chroniques, d’où l’évocation de certains futurs dépourvus d’avenir. Cependant, nous refusons de baisser les bras. Il en résulte des héros assez désabusés qui ne remportent que des victoires ponctuelles (au prix de quelques plumes) mais qui, envers et contre tout, conservent l’espoir d’un petit coin de paradis transitoire.

Q : L'intolérance sous toutes ses formes (politique, raciale ou religieuse), me semble être un des thèmes qui sous-tendent le roman. N'est-ce pas un des principaux écueils de notre futur. Est-ce votre perception du devenir du présent  ?
R : Le pessimisme évoqué ci-dessus vaut aussi pour notre confiance en la nature humaine. Sans donner dans le lieu commun, la situation terrienne actuelle ne nous semble pas se prêter à des extrapolations joyeuses, mais c’est une vision personnelle. Ceci dit, le cloisonnement racial, politique ou religieux évoqué dans la question est certainement le pire des obstacles à une amélioration de la condition humaine. Le tribalisme et le lobbyisme sont certainement ce que notre société produit de plus bas.

Q : Y aura-t-il une suite –  car il me semble que tout n'est pas révélé ?
R: Mars Heretica
fonctionne en effet sur le mode du secret multiple : chaque découverte des personnages révèle une nouvelle énigme. La fin est ouverte et laisse le champ libre à l’imagination. Alors, une suite ? Peut-être, mais dans l’immédiat nous travaillons sur un roman qui renoue avec l’univers des Terres Mortes et des hypercités, en y apportant de nouvelles composantes.

Q : Le visage de Mars est présent dans votre roman, d'une façon joliment détournée. Est-ce révélateur de la nostalgie du mythe martien mis à mal par les sondes de la Nasa, ou comme le disait Leigh Brackett, est-ce que vous " invitez les mornes réalités à garder une distance respectueuse" ?
R: Notre expérience tant scientifique que sociologique nous dicte que rien n’est jamais totalement acquis. Et puis qu’importe les sondes tant qu’il reste l’imagination ! Comme l’a écrit et chanté Léonard Cohen :
« Now the dreamers ride against the men of action
Oh, see the men of action falling back ».*

*A présent, les rêveurs chargent les hommes d’action,
Voyez comme les hommes d’action sont renversés.

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